Wednesday, April 24, 2024
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Cinq choses à comprendre sur l’Éco, une alternative “françafricaine” au franc CFA

Les gouvernements des pays de l’Union économique et monétaire Ouest Africaine (Uémoa) ont décidé, de commun accord avec la France, de trouver une alternative au franc CFA en créant l’Éco, empiétant ainsi le pas à un vieux projet de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO).

Pour aider à mieux comprendre ce projet controversé qui divise les pays membres de la CÉDÉAO, nous tentons de l’expliquer en cinq points.

Voici cinq choses qui pourront vous aider à mieux comprendre les enjeux autour de cette nouvelle monnaie.

A l’origine de la contestation, le franc CFA

Le Franc CFA, qui signifiait originellement franc des colonies françaises d’Afrique à sa création en 1945, est considéré comme un outil de domination postcolonial de la France sur ses anciennes colonies d’Afrique.

Après plusieurs campagnes contre cette empreinte coloniale, il est devenu aujourd’hui franc de la Communauté financière africaine (pour les pays de l’UÉMOA dont la zone monétaire a été créée en 1962).

Mais à la surprise générale, lors d’une rencontre, le 21 décembre 2019 à Abidjan, la capitale ivoirienne, Alassane Ouattara et Emmanuel Macron ont annoncé trois changements de taille pour l’avènement de l’Éco, cette nouvelle monnaie destinée à calmer les réclamations de la société civile africaine.

“C’est en entendant votre jeunesse que j’ai voulu engager cette réforme. Le Franc CFA cristallise de nombreuses critiques sur la France. Je vois votre jeunesse qui nous reproche une relation qu’elle juge postcoloniale. Donc, rompons les amarres”, avait déclaré le président français (journal Le Monde du 21 décembre 2019).

Au courant de cette visite, trois décisions ont été prises en guise de réforme :

Plus d’administrateurs français à la BCÉAO

Le retrait des administrateurs français de la Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCÉAO).

La France a pris l’engagement de se retirer du Conseil d’administration et du Comité de politique monétaire de la BCÉAO, mais aussi de la Commission bancaire de l’UÉMOA.

Ses représentants au sein de ces différentes instances étaient reprochés de dicter leurs décisions.

Joint au téléphone par la BBC, Professeur Abdoulaye Ndiaye, enseignant-chercheur à l’Université de New York aux Etats-Unis, s’est d’abord demandé les types de mécanismes que la France va mettre en place pour garantir cette nouvelle monnaie.

Selon lui, se débarrasser du franc CFA qui renvoie au colonialisme est salutaire, et ne pas avoir la France dans les instances de décision monétaire africaines est encore une bonne décision.

Par conséquent, dit-il, toutes les questions de souveraineté (imprimer la monnaie dans la zone, garder la réserve sur place, etc.) sont une bonne chose.

“Il n’est pas encore défini quels sont les mécanismes que la France va mettre en place pour assurer la garantie si toutefois que notre balance de paiement est déficitaire,” explique-t-il.

“Quand il s’agit de cette monnaie, il faut faire la différence entre la souveraineté monétaire et la question économique”, poursuit-il.

Pour lui, “la croissance et la vraie souveraineté économiques passent surtout par l’économie réelle”.

Pour se faire, M. Ndiaye estime que la zone doit définir “une politique monétaire qui lui permettra de rebondir en période de crise”.

Toutefois, il souligne que “ce n’est pas une politique monétaire qui développe un pays ou une zone”.

“On ne peut pas se développer en imprimant juste des billets de banque. C’est ce que les activistes anti-CFA n’ont pas compris. C’est-à-dire, après avoir imprimé des billets, il faut lever des taxes”, argumente-t-il.

Fin du compte d’opération et du dépôt de 50 % des réserves de change des pays ouest-africains au Trésor français.

Auparavant, la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCÉAO) était obligée de déposer la moitié de ses réserves de change auprès de la Banque de France.

Ce ne sera plus le cas avec les accords signés dans le cadre du nouveau projet de réforme.

“Ce qu’il faut comprendre pour le compte d’opération, c’est qu’il y aura toujours un minimum de réserve de change mais ce ne sera juste pas gardé par la France”, soutient le professeur d’université.

“Dans une zone où il y a plusieurs états où il peut y avoir certaines pressions politiques qui font que certains dirigeants voudraient trop dépenser, une réserve de change pourrait nous donner trop d’assurances au cas où il y aurait un arrêt d’arrivées de capitaux dans la zone”, explique-t-il.

“Je suis plus pour une monnaie commune qui facilite l’intégration plutôt qu’avoir 12 petits pays qui ont chacun leur propre monnaie. Mieux vaut avoir une zone monétaire commune que plusieurs politiques monétaires”, défend l’économiste Abdoulaye Ndiaye.

“La politique monétaire ne peut pas nous développer. La souveraineté monétaire oui, mais c’est différent de la souveraineté économique. La vraie souveraineté économique passe par la croissance de l’économie réelle, c’est-à-dire quand la productivité locale augmente, quand les gens voient qu’il y a vraiment de la plus-value”, dit-il.

“L’argent joue un rôle certes parce qu’on l’utilise dans les transactions, cependant ce rôle est secondaire. On peut utiliser la monnaie, faire un programme de stimuli pour sortir d’une crise, mais ça peut être dangereux sur le long terme, dans certains cas, pour éviter le risque d’inflation”, argumente Pr Ndiaye.

Paris continuera de garantir l’Éco

Paris reste le garant officiel de l’ÉCO qui conserve, comme le franc CFA (1 euro = 655,96 francs CFA), une parité fixe avec l’euro. Le franc CFA, qui était initialement aligné au franc Français, a été dévalué le 12 janvier 1994.

En réaction à cette décision, l’économiste sénégalais Demba Moussa Dembélé, avait déclaré sur Radio France internationale (Rfi) le 23 décembre 2019, que ce projet est simplement “une façon de torpiller le projet de la CÉDÉAO”.

“Pour comprendre ce qu’est cette garantie, il faut savoir qu’elle n’est là qu’en cas de force majeure, par exemple, avant la dévaluation de 1994 quand on ne pouvait plus payer nos propres importations”, renseigne Pr Abdoulaye Ndiaye.

“Une garantie comme celle-là donne de la crédibilité pour éviter qu’il y ait un “bank run” sur notre monnaie”, soutient M.Ndiaye.

La guerre des Éco

En réalité, il y a Éco et Éco. L’ÉCO de la CÉDÉAO est portée par les 15 pays membres : (le Sénégal, le Bénin, le Burkina Faso, le Togo, le Niger, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, la Gambie, la Guinée, le Nigeria, le Ghana, la Sierra Leone et le Cap-Vert). Fondée en 1975, la CÉDÉAO avait initialement formulé l’idée d’une monnaie unique en 1983.

Le président Muhammadu Buhari du Nigéria, dont le pays représente 70% du PIB de la CEDEAO, a vivement critiqué la décision des pays de l’UÉMOA de se précipiter à “reprendre l’éco en remplacement de son franc CFA avant les autres États membres de la CEDEAO” sans les concerter.

Par contre, l’ÉCO annoncée par Macron et Ouattara en décembre 2019, sera la monnaie unique des pays de l’UÉMOA, en remplacement du controversé franc CFA.

“Si le Nigéria était dans l’Eco on aurait un régime de change flexible, mais dans ce cas là il faut se poser la question s’il serait dans l’intérêt de pays comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire d’avoir le Nigéria qui est très sensible aux fluctuations des prix des matières premières”, prévient Pr Abdoulaye Ndiaye.

“Je vois plus un Eco avec les pays de la CÉDÉAO sans le Nigéria, c’est-à-dire où on a une inclusion progressive de pays comme le Ghana, etc. Je pense que le Nigéria est plutôt intéressé par considérer le projet plus global de l’Eco CÉDÉAO”.

A quand réellement l’Éco ?

La sortie officielle de l’Éco était prévue au 1er juillet 2020, mais apparemment, le projet n’est pas encore à terme.

Et pourtant, le 10 décembre dernier, ce projet, qui concerne 8 pays d’Afrique de l’Ouest, a été adopté à l’Assemblée nationale française par 73 députés votants (57 voix pour, 8 voix contre de la Gauche démocrate et républicaine et 8 abstentions dont le Parti socialiste français).

A terme, cette nouvelle réforme pour la création de l’Éco, doit encore être soumise au Sénat français, puis signée par les pays de l’UÉMOA.

Pour le professeur Abdoulaye Ndiaye, “la sortie de l’Eco dépendra beaucoup de l’implémentation”.

“Pour tout ce que nous savons à l’heure actuelle, il y aura une parité fixe avec l’Euro, une garantie de la France dont on ne connait pas encore les mécanismes. Il y aura certainement une sorte de surveillance dont on ne sait pas comment elle sera exercée”, déclare l’enseignant-chercheur.

“Il y a des projets qui sont naturels, c’est-à-dire comment regarder la manière d’aller vers un panier de devises qui reflète nos échanges avec les autres pays. Mais pour ça, il faut une autre loi que celle actuelle qui a été entérinée en 2019 et qui a été votée à l’assemblée nationale en France en décembre”, rappelle-t-il

Mais d’ici là, le sort de près de 400 millions d’habitants africains restent encore économiquement arrimé à la parité du franc CFA à l’Euro.

bbc

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