Tuesday, April 23, 2024
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Crise anglophone au Cameroun : comment a-t-elle commencé et quand finira-t-elle ?

Le 6 décembre, les Camerounais sont appelés aux urnes pour élire les représentants de dix conseils régionaux. Les chefs traditionnels des deux régions anglophones du pays éliront également les membres des Chambres des chefs nouvellement créées.

Le gouvernement estime que ces élections marquent une étape importante dans le processus de décentralisation, et un grand pas vers la résolution du conflit anglophone.

Les critiques affirment qu’un dialogue d’envergure est nécessaire pour mettre fin à ce conflit qui dure depuis quatre ans. Les partis d’opposition ont largement boycotté les élections régionales.

Comment la crise anglophone a-t-elle commencé ?

Le conflit couvait depuis des décennies, les anglophones du Cameroun se plaignant d’être marginalisés et éloignés des sphères de décision par l’administration majoritairement francophone de Yaoundé.

Environ 20% de la population camerounaise est anglophone. La fracture linguistique remonte au colonialisme.

D’abord colonisé par l’Allemagne, le Cameroun a ensuite été divisé par les puissances alliées, la Grande-Bretagne et la France, après la défaite des Allemands en 1916.

Les deux parties du Cameroun ont donc été administrées séparément jusqu’en 1961, date à laquelle les territoires britanniques, connus sous le nom de Cameroun méridional, ont obtenu leur indépendance et rejoint le Cameroun français déjà indépendant.

Le système de gouvernement fédéraliste dont ils ont convenu ne durera qu’une décennie. Le pays l’a abandonné lors du référendum constitutionnel de 1972, installant un système centralisé qui a permis au pouvoir de reposer fermement sur la capitale, Yaoundé.

Les anglophones disent avoir souffert d’une marginalisation accrue à la suite de ce référendum.

En 2016, les frustrations se sont multipliées. Les avocats et les enseignants anglophones se sont mis en grève à Bamenda et Buea, les capitales des régions du nord-ouest et du sud-ouest.

Ils estiment que le gouvernement majoritairement francophone tente de détruire le système de common law et l’enseignement en anglais pratiqué dans ces régions du pays.

Les militaires adoptent une ligne dure, et les manifestations deviennent violentes. Les anglophones commencent alors à réclamer plus d’autonomie. Un mouvement séparatiste émerge, exigeant la sécession pure et simple et la création d’un nouvel État qu’ils appellent “Ambazonia”.

Pic de violences

Le 1er octobre 2017, des dizaines de milliers d’anglophones descendent dans les rues de plusieurs villes des deux régions anglophones pour proclamer l’indépendance de l’Ambazonie.

Le choix de la date n’était pas un hasard. Le 1er octobre 1961 est le jour où les Camerounais du Sud ont obtenu l’indépendance de la Grande-Bretagne.

La violence s’ensuit. Plus de 20 personnes sont abattues par les forces de sécurité et des centaines arrêtées, selon Amnesty International. D’après les chiffres du gouvernement, le nombre de morts s’élève à environ 10.

L’interdiction des manifestations pacifiques stimule encore la croissance des mouvements sécessionnistes, dont beaucoup prônent fermement la lutte armée en “autodéfense”.

Les installations gouvernementales et les forces de sécurité sont la cible d’attaques. Les séparatistes imposent également des couvre-feux, un boycott scolaire, et la résistance à ces mesures entrainent des représailles ou des enlèvements.

Le président du Cameroun, Paul Biya, maintient depuis le début que le pays restera “un et indivisible”. Le président déploie l’armée dans les zones anglophones, s’engageant à “détruire tous ceux qui veulent diviser la nation”.

Qui dirige les séparatistes ?

Avec la répression, les avocats, les enseignants et les leaders de la société civile à l’origine des grèves de 2016 laissent la place à l’émergence d’une mosaïque de groupes armés séparatistes dans les régions anglophones.

Un ancien administrateur d’université et ingénieur, Sissiku Ayuk Tabe, fait surface en 2017 en tant que leader de la République autoproclamée d’Ambazonia.

“Nous ne sommes plus esclaves du Cameroun”, proclame M. Tabe dans une déclaration le 1er octobre 2017. “Aujourd’hui, nous affirmons l’autonomie de notre patrimoine et de notre territoire”, déclare-t-il.

L’année suivante, il est arrêté par les autorités du Nigeria, où il vivait alors, et extradé vers le Cameroun.

Tabe purge actuellement une peine de prison à vie au Cameroun, en compagnie de neuf de ses collaborateurs. En septembre 2020, la Cour d’appel confirme leurs condamnations pour terrorisme, destruction de biens publics, sécession et atteinte à l’autorité de l’État.

Entre-temps, le mouvement ambazonien s’est scindé, avec le soutien du rival de Tabe, l’ancien pasteur Samuel Ikome Sako, basé aux États-Unis.

La lutte pour la légitimité entre ces deux leaders séparatistes s’est jouée entre les combattants sur le terrain, avec des affrontements entre combattants fidèles à Ikome et ceux fidèles à Sisiku.

On estime qu’il existe actuellement au moins 20 groupes séparatistes armés sur le terrain, chacun étant dirigé par un “général” autoproclamé.

Parmi eux, on peut citer les “Dragons rouges” dirigés par Lekeaka Oliver, connu sous le nom de “Field Marshall”, qui a quitté l’armée camerounaise pour rejoindre la milice séparatiste.

Les “chasseurs de gorilles” de Lebialem étaient également dirigés par un officier militaire qui a deserté et qui se faisait appeler “Général Ayeke”.

Il aurait été tué récemment par l’armée, selon le porte-parole de l’armée, le lieutenant-colonel Cyrille Atongfack.

Quels efforts ont été réalisés pour résoudre la crise ?

Tous les efforts de dialogue ont échoué.

Les séparatistes insistent pour ne négocier que les conditions de leur indépendance, ce que le gouvernement refuse catégoriquement.

Le gouvernement refuse également de prendre en compte la demande d’éléments plus modérés pour un retour au fédéralisme, qui accorderait aux régions une plus grande autonomie.

En 2016, le Premier ministre de l’époque, Philemon Yang, tente de négocier avec les enseignants et les avocats en grève, mais les pourparlers échouent car les deux parties n’ont pas réussi à trouver un terrain d’entente.

En réponse à la grève, le gouvernement annonce des réformes telles que le recrutement d’enseignants bilingues, le déploiement d’avocats anglophones dans les tribunaux de droit commun, et l’utilisation de la langue anglaise dans les tribunaux.

Cependant, la montée de la violence aggrave les tensions.

En 2017, le gouvernement rejette la demande des grévistes de retirer les troupes des rues et de libérer toutes les personnes arrêtées en rapport avec les grèves et les troubles.

Avec l’impasse, les combats s’intensifient.

“Si mon appel aux belligérants à déposer les armes reste sans effet, les forces de défense et de sécurité auront pour instruction de les neutraliser”, déclare le président le 31 décembre 2018 lors de son discours de fin d’année à la Nation.

Enfin, en octobre 2019, le président, face aux pressions nationales et internationales, convoque un dialogue national pour résoudre le conflit anglophone.

Trop peu, trop tard ?

Le dialogue national rassemble des hauts fonctionnaires, des leaders de la société civile, le clergé et certains dirigeants de partis politiques dans la capitale, Yaoundé. Cependant, les séparatistes boycottent, exigeant que les pourparlers se tiennent à l’extérieur du pays sur ce qu’ils appellent un terrain neutre.

Les principaux partis d’opposition boycottent également le dialogue, qu’ils qualifient de comédie.

Parmi les propositions issues des pourparlers, figure un accord visant à accorder un statut spécial aux deux régions anglophones.

La dernière semaine de 2019, le parlement camerounais approuve le projet de loi qui l’accorde. Le projet de loi permet aux deux régions d’avoir une chambre des chefs pour chaque région, des assemblées régionales et des conseils régionaux avec des présidents élus. Les maires seront également habilités à recruter du personnel hospitalier et des enseignants.

“Il est donc grand temps de faire taire les armes. Il est donc grand temps de faire cesser les tueries, les violences et les destructions”, indique Aboubakary Abdoulaye, premier vice-président francophone du Sénat camerounais, en clôturant la session qui a adopté le projet de loi.

Les critiques de cette mesure affirment qu’elle n’a pas abordé la question sous-jacente de la gouvernance.

“Nous nous serions attendus à ce que les régions soient habilitées à déterminer les politiques relatives au système éducatif, judiciaire, législatif et exécutif, à déterminer les problèmes au niveau national, et pas seulement au niveau local”, constate l’avocat Henry Kemende, un sénateur de l’opposition de la région du Nord-Ouest du Cameroun.

La création de dix conseils régionaux et de deux chambres des chefs est également critiquée.

Alors que la création des conseils régionaux était déjà prévue dans la Constitution de 1996 (mais pas appliquée avant le dialogue national), les Chambres des chefs ont été créées dans le cadre du dialogue national.

“Les Chambres des chefs ne rétabliront pas la Chambre des chefs du Sud du Cameroun”, souligne l’éminent professeur d’histoire à la retraite, Verkijika Fanso.

“Ce sont des tentatives de diviser le Nord-Ouest et le Sud-Ouest pour qu’ils ne soient plus considérés comme des Camerounais du Sud, comme faisant partie d’un seul et même peuple avant l’unification”.

Fon Fobuzi, le chef traditionnel de Chomba dans la région du Nord-Ouest, n’est pas d’accord. Il est candidat au conseil régional sous la bannière du parti au pouvoir, le Mouvement démocratique du peuple camerounais.

Début de solution?

“Les élections régionales sont pour moi le début de la résolution du problème anglophone, car c’est déjà l’autonomie que les anglophones veulent vraiment : l’autonomie politique. Et bien sûr, l’autonomie politique viendra avec toutes les autres autonomies : l’autonomie économique, sociale, culturelle et sociétale”, dit-il.

Le Dialogue national propose également un plan de relance et de reconstruction de 160 millions de dollars pour les deux régions anglophones.

L’argent est destiné à la reconstruction ou à la rénovation de 350 écoles, 90 centres de santé, 40 ponts et plus de 12 000 foyers.

Le projet devrait démarrer en 2021 et s’étendre sur dix ans, avec un financement provenant à la fois du gouvernement et des partenaires de développement.

“Notre objectif est de ramener le niveau de vie des habitants de ces deux régions au même niveau que le reste du pays”, explique à la BBC Paul Tasong, le coordinateur du plan.

En attendant, les opérations militaires se poursuivent dans les zones anglophones. Et les attaques séparatistes se sont intensifiées.

De nouvelles attaques, de nouvelles pressions sur le gouvernement

Depuis fin octobre, au moins quatre écoles ont été attaquées dans les régions anglophones.

Sept enfants sont tués et des dizaines d’autres blessés le 24 octobre 2020 lorsque des tireurs non identifiés prennent d’assaut une école secondaire dans la ville de Kumba, au sud-ouest du pays.

Les Camerounais qualifient l’attaque de massacre. Ils sont descendus dans la rue pour demander justice pour les victimes.

“Pourquoi devrions-nous permettre aux gens d’étouffer la vie de nos enfants”, indique la militante Gladys Vibam à la BBC alors qu’elle dirigeait la manifestation des femmes à Yaoundé.

“Tout meurtre est condamnable, peu importe les coupables. Ils doivent arrêter cela. Ils doivent poser les armes. Ils doivent venir à la table des négociations et s’asseoir. Il n’y a rien qui surpasse le pouvoir du dialogue et de la négociation”.

Le 4 novembre 2020, une vingtaine d’hommes armés attaquent le Kulu Memorial College, dans la ville côtière de Limbe, dans le sud-ouest du pays, déshabillant les étudiants et les enseignants et incendiant certains bâtiments scolaires.

Cette attaque a lieu 24 heures après l’enlèvement de 11 enseignants dans une école presbytérienne de Kumbo, dans le nord-ouest du pays.

Quelles sont les options qui restent ?

Certains considèrent qu’un dialogue inclusif, mené par un organisme international neutre, est la solution.

A un moment donné, il a été question d’une possible médiation par le Centre pour le dialogue humanitaire (HD Centre), basé en Suisse, mais les séparatistes sont divisés sur cette option, certains disent qu’ils soupçonnent une collusion entre la Suisse et le gouvernement de Yaoundé.

Les séparatistes veulent que les Nations unies servent de médiateur dans les pourparlers qui s’attaqueront aux causes profondes du conflit.

Ils veulent dire par là que l’ONU doit donner aux anglophones la possibilité de renégocier leur indépendance, ce que Yaoundé n’acceptera probablement jamais.

Le président Biya indique clairement qu’il considère qu’il s’agit d’un problème camerounais qui ne pourra être résolu que par les Camerounais et au Cameroun.

Les séparatistes exigent la participation de l’ONU à ces pourparlers car c’est l’ONU qui, en 1961, a conditionné l’indépendance des Camerounais du Sud de la Grande-Bretagne au fait de rejoindre soit le Nigeria, soit la République du Cameroun.

Entre-temps, un important groupe de réflexion, International Crisis Group, suggère que l’Église catholique pourrait être la seule institution locale ayant la légitimité pour négocier un accord.

L’initiative du cardinal à la retraite Christian Tumi de convoquer ce qu’il appelle une conférence générale anglophone pour identifier clairement les causes profondes du problème est rejetée par les séparatistes et le gouvernement, chaque partie accusant le cardinal de partialité.

Le cardinal Tumi affirme que l’église ne sera pas influencée par des considérations politiques.

“Seule la vérité peut sauver le Cameroun”, dit-il.

Le gouvernement a depuis désigné le cardinal à la retraite ainsi que d’autres responsables catholiques pour mener des “caravanes de la paix” dans les régions anglophones en difficulté.

Soulignant l’insécurité, le 6 novembre, le cardinal Tumi est lui-même kidnappé dans la localité de Babessi, alors qu’il se rend à son Kumbo natal, dans la région du nord-ouest.

Il est libéré le jour suivant. Paradoxalement, il se rendait à Kumbo pour négocier le retour du chef local de la région qui avait fui les combats vers la capitale du pays, Yaoundé.

bbc

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