Par :Joe FarmerSuivre
Derrière la fougue de ses prestations, Lucky Peterson cachait une insatisfaction tenace. S’il montrait le meilleur de lui-même en public, il s’agaçait parfois en coulisses du peu de reconnaissance que son talent aurait dû lui offrir. Il est vrai que Judge Kenneth Peterson débuta précocement sur les planches. À 5 ans (oui, 5 ans), il était déjà invité à la télévision américaine. Il enregistra d’ailleurs son premier album “Our future : 5 year old Lucky Peterson” à cette même époque. Ce petit bout de chou avait très tôt conquis son entourage familial en dévoilant un don inné pour l’orgue Hammond B3.PUBLICITÉ
Né à Buffalo (New York), le 13 décembre 1964, c’est en observant les géants du blues sur la scène du Governor’s Inn, le club tenu par son papa, que le jeune Lucky Peterson se découvre une passion pour la musique. Le légendaire contrebassiste, producteur et chef d’orchestre Willie Dixon se prendra d’affection pour ce gamin plutôt doué et l’encouragera à persévérer. Au fil des années, Lucky Peterson se professionnalisera au contact de quelques grandes figures de “L’épopée des Musiques Noires” dont Etta James, Bobby “Blue” Bland, Little Milton, Buddy Guy, Junior Wells, Muddy Waters, Koko Taylor. Outre son goût immodéré pour les claviers, Lucky Peterson deviendra également un excellent guitariste lui permettant ainsi de donner des couleurs sonores différentes à ses interprétations.
Il faudra curieusement attendre le tournant des années 90 pour qu’un label reconnu prenne enfin conscience de la valeur du personnage. Après deux albums pour Alligator Records, Lucky Peterson signe donc un contrat d’exclusivité avec une prestigieuse firme discographique, Verve Records, qui subitement le propulse dans le feu des projecteurs, notamment en France, où ses concerts charment des spectateurs de plus en plus nombreux. Et pourtant, Lucky Peterson s’impatiente… Il a 30 ans et, après déjà un quart de siècle de musique, aimerait tant faire l’unanimité et vivre de sa passion. Il regarde ses aînés et imagine son avenir. Il se voit, tel un B.B King, devenir un sage maestro à qui l’on demanderait conseil mais l’épreuve du temps et de la constance est une exigence à laquelle il ne peut se soustraire pour atteindre ses buts.
Ainsi, avec application, il adaptera ses espoirs aux circonstances, aux revers, aux succès, aux désillusions et aux célébrations. Parfois, il s’enthousiasmait, quand il croisait la route de James Brown en 1993 en assurant la première partie de son concert à Paris-Bercy ou lorsqu’il s’associait à Mavis Staples en 1996 pour un album de gospel et de spirituals et, à d’autres moments, se fatiguait de sollicitations trop nombreuses en affichant une réelle lassitude. Lucky Peterson était un personnage entier qui réagissait spontanément en fonction de son humeur et de son énergie du moment. Ces dernières années, il se racontait davantage. Devant ses fans, à travers ses albums, il narrait la destinée d’un petit prodige plongé très (trop) rapidement dans l’histoire du blues. Il livrait sa version d’une aventure humaine et artistique unique.
Le 17 mai 2020, Lucky Peterson nous quittait à l’âge de 55 ans. Oui, il venait de célébrer son premier cinquantenaire sur scène mais sa disparition survient tout de même bien trop tôt. Il avait encore tant à dire, à prouver, à dévoiler. Comme il le précisait sur son ultime album, “Just warming up !”, il ne faisait que s’échauffer…