Thursday, April 25, 2024
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La France de Jean Ferrat, dix ans plus tard

Jean Ferrat en 2002. © Pierre-Olivier CALLEDE/Gamma-Rapho via Getty Images

Disparu le 13 mars 2010, le chanteur de La Montagne et de Camarade est resté un des aînés les plus populaires de la chanson. Sans doute parce que sa vie et ses chansons ressemblaient tant à son pays.

Le 16 mars 2010, la foule défile longuement au cimetière d’Antraigues-sur-Volane. Des milliers de personnes suivent la cérémonie dans le petit village et des millions devant leur petit écran. La veille, un hommage télévisé a été vu par quatre millions de Français. Depuis l’annonce de la mort de Jean Ferrat en fin d’après-midi le 13, les commerces culturels connaissent tous la ruée sur les disques, sur les livres, sur les partitions. Un phénomène rituel à chaque mort d’artiste populaire ? Un peu plus, et même beaucoup plus. On réalise que, pour bon nombre de Français, Ferrat n’est pas seulement un artiste qui a enregistré beaucoup de succès en une cinquantaine d’années.

L’hommage du président de la République Nicolas Sarkozy n’est ni plus ni moins vague qu’on aurait le craindre en pareilles circonstances (“Jean Ferrat, c’est un grand nom et une conception intransigeante de la chanson française qui disparaît”). Au fond, il lui manque l’essentiel, tout comme une bonne partie de la presse et des commentateurs. Car l’émotion, un peu partout dans le pays, ressemble à celles qui accompagnent la perte des intimes.

Des airs de liberté

C’est ce qu’était surtout Jean Ferrat : un vieux compagnon d’émotions, de colères, de ferveurs, de mélancolies. Un homme qui chantait le bonheur quotidien d’un couple de banlieue, qui convoquait au hit-parade les ombres haves des déportés, qui faisait rêver de révolution et d’amour fou, qui hissait des drapeaux rouges en cortège et tapait le carton avec ses potes. Un chantre de la meilleure France, celle des villages, de la justice sociale, de l’apéro et du vertige des mots.

Voilà pourquoi Marc Lavoine appelle dès le lendemain de la mort de Jean Ferrat son plus proche compagnon, l’éditeur et patron de label Gérard Meys, pour “faire quelque chose”. Ce sera l’album Des airs de liberté, qui sortira pour le cinquième anniversaire de la mort du chanteur avec, au générique, notamment, Cali, Dionysos, Julien Doré, Patrick Bruel, Catherine Deneuve et Benjamin Biolay, Raphael, Sanseverino, Hubert-Félix Thiéfaine ou Patrick Fiori – toutes les France rassemblées.

Pour ce dixième anniversaire, les premières maisons de disques historiques de Jean Ferrat, Decca et Barclay, étant aujourd’hui réunies chez Universal, le leader du disque en France sort une intégrale de ses enregistrements de 1960 à 1972 – 12 CD, 130 titres – avec un livret écrit par son meilleur biographe, Robert Belleret (son ouvrage Le Chant d’un révolté est d’ailleurs réédité).

Parmi les rares nouveautés, le photographe de variétés Alain Marouani, devenu son ami, sort Ferrat l’inoubliable qui, en photos et en textes, rappelle la valeur de l’homme et l’ampleur de l’œuvre. L’idée est belle : peu d’artistes en France cumulent un tel respect, à égalité pour ce qu’ils sont et pour ce qu’ils chantent.

En 1985, il avait dressé son propre portrait sur les mots de son ami Guy Thomas dans la chanson Je ne suis qu’un cri : Je ne suis pas littérature / Je ne suis pas photographie / Ni décoration ni peinture / Ni traité de philosophie / Je ne suis pas ce qu’on murmure / Aux enfants de la bourgeoisie / Je ne suis pas saine lecture / Ni sirupeuse poésie / Je ne suis qu’un cri”.

Une personnalité infiniment populaire

La France lui savait gré d’avoir posé cela comme règle pour sa vie d’artiste, même si la clameur du manifestant et du révolté laissait souvent la place à un hédoniste songeur et amoureux. Ainsi, il avait sorti à un mois d’intervalle, en 45 tours, Camarade et Sacré Félicien, c’est-à-dire la grave fraternité des luttes et des cent fleurs du mois de mai puis l’amitié musquée du poker où il vaut mieux faire / Le boucher que la vache.

Cet homme que l’on chantait sur les piquets de grèves et qu’on dansait dans les bals populaires ne pouvait laisser une marque indifférente dans les mémoires. Peut-être, par le mouvement naturel d’érosion des répertoires posthumes, certaines chansons politiques et polémiques (Potemkine, Cuba, Pauvres petits c…, Le Bilan…) s’éloignent-elles des programmations radio au profit du vaste humanisme souriant de Ferrat (La Montagne, Aimer à perdre la raison, Ma môme, Camarade…).

Mais l’essentiel reste immuable : chacun sait qu’il s’est retiré à Antraigues-sur-Volane, village de cinq cents habitants en Ardèche, et bien qu’il ne fasse plus de concerts depuis 1973, il reste une personnalité infiniment populaire. Les succès constants de ses albums (jusqu’au dernier, Ferrat 95, uniquement composé d’adaptations de poèmes de Louis Aragon), le poids d’Audimat de ses apparitions à la télévision, la rareté de sa parole publique, tout enracine une relation singulière avec le public.

Pas de malentendu entre Ferrat et le public. Il est exactement l’homme de ses chansons, incarnation d’une gauche ferme sur ses principes et d’une France attachée à ses bonheurs du quotidien. Tant que ce pays ne change pas, il n’est pas oublié.

 

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