Friday, April 19, 2024
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Quand la guitare trouve un nouveau souffle sur Internet

Une femme jouant de la guitare en regardant un iPad. (Image d’illustration) © 10’000 Hours/GettyImages

C’est un instrument dont on dit qu’il n’est plus en vogue et pourtant… La guitare connaît un véritable renouveau sur la Toile en ce moment, portée par une nouvelle génération de YouTubeurs. En ces temps de confinement, il y a désormais beaucoup plus que de simples tutoriels, pour bien apprendre la guitare.

“Bonjour… Y’ a personne, ça commence bien… Est-ce que ça marche ? C’est le mystère.” Ce samedi 25 mars, la France est confinée depuis dix jours à cause de la pandémie de coronavirus. C’est depuis chez lui que Thomas Dutronc lance son “cours de guitare confiné” sur Facebook. Un moment que le chanteur partage avec ses fans, pour “donner quelques petites pistes” de travail sur le manche. “Alors, je voulais qu’on regarde ensemble le morceau La Vie en rose aujourd’hui”, annonce-t-il. Pour cette première, on accorde la guitare en cours de route, on digresse, et bien vite, on passe des accords majeurs et mineurs, aux accords de septièmes et diminués… Bref, la chanson d’Édith Piaf se révèle beaucoup trop difficile pour un simple débutant.

Si elles ne sont pas très académiques, les vidéos de Thomas Dutronc ont le mérite de l’originalité en ces temps de confinement ; elles rappellent aussi que la guitare a investi depuis longtemps Internet. Parmi les guitaristes français les plus suivis en ce moment sur YouTube, Florent Garcia a créé sa chaîne en novembre 2008 pour poster des vidéos de reprises.

Mais ce sont ses cours de guitare en ligne qui ont pris leur envol depuis deux ans. Ce qui serait presque un hasard, à en croire l’ex-étudiant au conservatoire et en économie, qui gagnait sa vie en donnant des cours particuliers. “J’avais le choix entre travailler dans une banque et être prof de musique, et j’ai choisi prof de musique, parce que je ne me voyais pas être dans un bureau, glisse-t-il. Quand on est prof, on a toujours les mêmes questions qui reviennent pour les débutants. Et ça a débuté comme ça, comme un récapitulatif…”

Du travail et de la patience

Faire sérieusement des vidéos demande beaucoup de travail et de passion, de l’avis général. Prof de guitare à Paris, Robin Angelini, alias Saturax, consacre environ la moitié de son temps à ses vidéos hebdomadaires. Il a mis environ deux ans à trouver sa patte et aujourd’hui, sa chaîne compte 27 600 abonnés et 1,5 millions de vues. “Souvent, on voit une vidéo de dix minutes. On a l’impression que c’est fluide. Mais pour 10 minutes, il faut peut-être tourner 1h30, puis rajouter à cela la phase d’écriture et de montage, et le fait de poster cela sur les réseaux sociaux”, détaille-t-il.

Pour Saturax, ces vidéos sont comme un “portfolio” qui permet de mettre en avant “son travail de musicien”. Cette activité lui a notamment permis de faire connaître son trio de rock instrumental, qui porte son pseudonyme, et de participer à un projet collectif, United Guitars, aux côtés de Norbert Krief de Trust, d’Axel Bauer, ou de guitaristes officiant dans la presse spécialisée.

Solitaire si l’on fait tout de A jusqu’à Z, l’activité de YouTubeur peut être une affaire d’équipe, comme pour Tone Factory. Initiée par un ancien pilote automobile devenu vidéaste, Dimitry Lazardeux, elle est incarnée par Nicolas Chona, guitariste/chanteur du groupe de blues Nico Chona & the Freshtones. Mais peut-on vivre décemment des vidéos postées sur YouTube ? Que rapportent ses 4 millions de vues et 37 900 abonnés ? “Ça fait un petit plus à la fin du mois, mais on est loin du compte, estime Nicolas Chona, qui vit surtout de sa musique et de son statut d’intermittent du spectacle. Concrètement, ça permet d’acheter le matériel pour équiper le studio : les boîtiers, les objectifs, les lumières…Et puis, c’est une belle vitrine pour moi. C’est surtout ça, le vrai salaire.”

Le revenu direct généré par Tone Factory provient de la publicité sur YouTube et “des contrats passés avec les marques”, qui payent pour avoir des vidéos de tests de matériel.

Comme les blockbusters, les chaînes YouTube passent des partenariats avec les marques pour du placement de produits ; les chaînes guitare n’y font pas exception. Avec ses 400 000 instruments neufs et 120 000 occasions vendus par an (1), la guitare continue de démanger en France et elle représente un véritable marché. Du fait de sa notoriété grandissante, Florent Garcia a par exemple vu affluer les sollicitations, mais il n’a passé pour l’heure que deux partenariats avec une marque de cordes et de micros. Ses critères : qu’il “utilise déjà le matériel avant” et “(s’entende) bien avec la personne” qui le représente.

À l’arrivée, s’il vit avec bien “plus que le SMIC par mois”, puisqu’il habite près de Monaco “où les loyers sont très chers”, il reste auto-entrepreneur. A titre indicatif, sa chaîne générait 1005 € par mois de chiffre d’affaires mensuels sur le site Tipeee, qui permet compléter son revenu en faisant appel à sa communauté. Ses revenus publicitaires peuvent varier du simple ou double d’un mois à l’autre, et il alternait encore ses vidéos avec ses activités de prof en début d’année.

Papy rockeurs VS hip hop

Mais à l’image du virtuose MattRach, qui a été le premier guitariste à se faire une notoriété grâce à des reprises postées sur YouTube au mitan des années 2000, ce qui fait le succès de Florent Garcia, c’est en premier lieu ses qualités sur une six cordes. “Mon but, c’est de pouvoir vulgariser au maximum pour que chacun puisse y trouver son compte, à la fois les musiciens et les personnes qui ne s’y intéressent pas. Quand je fais une vidéo, je veux que les gens aient appris quelque chose, qu’ils aient envie de faire de la musique et qu’ils restent jusqu’à la fin”, explique-t-il.

S’il pratique volontiers des titres racoleurs comme “Les Beatles sont les pires musiciens” pour ses vidéos, c’est pour mieux analyser et comprendre les morceaux. L’une de ses problématiques est de concilier les demandes de sa communauté -126 000 abonnés sur YouTube, 23 400 sur Instagram-, qui lui réclame des vidéos sur les “papys rockeurs” (Eric Clapton, Mark Knopfler) et des goûts qui le mènent vers le hip hop et le funk.

Quand le magazine historique des guitaristes, Guitar Part, lance une souscription auprès de ses lecteurs sur les réseaux sociaux pour assurer sa survie, la guitare semble avoir trouvé un nouveau souffle sur la toile. “Par rapport au visage de YouTube aujourd’hui, la guitare a quelques années de retard, qu’elle est en train de rattraper”, résume Saturax.

Il y a cinq ans, on a vu naître des chaînes de vulgarisation mais dans ce domaine, on a eu du mal à proposer un contenu grand public, calqué sur le divertissement. Aujourd’hui, il y a une hausse de qualité sur le fond et sur la forme, qui sort un peu du “tuto” pour apprendre à jouer Stairway to Heaven. Allez, vas-y, guitare…

(1) Evaluation du marché de la facture instrumentale française, étude de la Direction générale des entreprises (DGE) et de la Chambre syndicale de la facture instrumentale (CSFI), parue en juin 2018

Par : Bastien Brun
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