Wednesday, April 24, 2024
AccueilA La UNE« Partir des banlieues, c’est toujours un peu trahir »

« Partir des banlieues, c’est toujours un peu trahir »

Le sociologue Fabien Truong décrit, dans une tribune, les parcours de deux jeunes en tous points opposés mais empreints du même sentiment diffus de culpabilité.

Tribune. Souvent, on entend que les « jeunes de banlieue » feraient mieux de se réconcilier avec la République. Parfois, on rappelle que c’est plutôt « la France » qui devrait se réconcilier avec ces jeunes, qui sont d’abord « ses » jeunes. Derrière ces appels à la réconciliation nationale se déploie un imaginaire du clash des cultures. « De gauche » ou « de droite », les injonctions morales flottent dans les nuages de la contrition : c’est « la France » qui n’en aurait pas assez fait ou « la banlieue » qui serait ingrate. Alors on déclame, on réclame, on tweete.

Mais est-ce bien cette grande réconciliation-là qui travaille ces jeunes dont on parle tant ? A observer les aspérités des vies vécues, rien n’est moins sûr. Prenons deux figures, pas nécessairement représentatives, mais devenues iconiques. D’un côté, « l’étudiante méritante » ayant accédé, à coups d’ouverture sociale, à une filière sélective de l’enseignement supérieur. De l’autre, la « racaille délinquante » alternant « bizness » et séjours en prison. Marianne contre Judas. Nommons les Khadija et Karim.

« Au pays de Jules Ferry, l’école est devenue un lieu où se cultive, jusqu’à 18 ans, l’entre-soi. Alors, oui, de chaque côté des barrières, les préjugés sont ancrés »

Khadija, en quittant son lycée ZEP-REP+, découvre un continent. Pour la première fois, elle traverse les frontières qui font la société française. Cette confrontation à l’altérité sociale est tardive : c’est le résultat combiné de la croissance des inégalités sociales, de la ségrégation urbaine, de la fragmentation du système scolaire et de la stigmatisation d’une population qui sert de repoussoir. Au pays de Jules Ferry, l’école est devenue un lieu où se cultive, jusqu’à 18 ans, l’entre-soi. Alors, oui, de chaque côté des barrières, les préjugés sont ancrés. Khadija se croyait arrivée et se savait élue, la voilà remise à sa place – de pauvre, de fille d’immigrée, de basanée, de banlieusarde –, sans qu’aucun de ses nouveaux camarades n’ait vraiment là de malignes intentions.

Ainsi va, inconsciemment, la vie sociale. Quand elle rentre chez elle, impossible de dire la somme des petites humiliations et des désajustements du jour. Il y a qu’elle porte sur ses épaules un mandat (sa réussite, c’est aussi celle de la famille et du quartier), tout en étant suspecte de virer « bounty » (marron dehors, blanc dedans). Se plaindre serait indécent. Reste à cacher la peur du mépris, taire les douleurs, enfouir sa honte à l’intérieur. La honte de ne jamais en (s)avoir assez, là-bas, au centre. La honte de dériver sans retour et d’abandonner sa périphérie. Khadija ne sait plus trop ce qui fait mal dans cette honte au carré : réaliser l’illégitimité de ce qui la constitue ou pressentir que le futur sera un reniement ?

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