Friday, April 26, 2024
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Droit d’asile : la Constitution française à la rescousse d’Edward Snowden ?

Edward Snowden vit en Russie depuis six ans.
Edward Snowden vit en Russie depuis six ans. Frederick Florin, AFP

Edward Snowden a répété qu’il serait intéressé de trouver refuge en France après six ans passés en Russie. Le cas du célèbre lanceur d’alerte pourrait être emblématique pour une procédure peu utilisée en France : l’asile constitutionnel.

Bis repetita ? La question de l’asile en France d’Edward Snowden est revenue sur le tapis politique. Le célèbre lanceur d’alerte, qui réside en Russie, a réitéré son souhait – déjà formulé en 2013 – de trouver refuge dans l’Hexagone, à l’occasion de la tournée promotionnelle pour son livre “Mémoires Vives”, publié mardi 17 septembre aux éditions du Seuil.

>> À voir sur France 24, l’interview d’Edward Snowden : “On a changé les lois pour légitimer la surveillance”

“Bien sûr, nous aimerions beaucoup qu’Emmanuel Macron lance une invitation [pour accorder le droit d’asile, NDLR]”, a affirmé Edward Snowden au micro de France Inter, lundi. Si sa proposition avait recueilli un large soutien au sein de la société civile en 2013, cette fois, ce sont des voix issues de la majorité présidentielle qui ont plaidé pour que Paris accède à la demande du lanceur d’alerte. Quitte à mettre Emmanuel Macron dans l’embarras vis-à-vis des États-Unis.

Asile conventionnel ou constitutionnel

Ainsi la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, s’est déclarée favorable à l’octroi du statut de réfugié à Edward Snowden. À peine l’Élysée avait-il fait savoir qu’il s’agissait seulement d’une prise de position personnelle, que Nathalie Loiseau, tête de liste de LREM lors des dernières élections européennes, a annoncé qu’elle partageait la position de la garde des Sceaux. Elle a jugé que l’ex-consultant de la NSA avait “rendu service à l’humanité” en dévoilant l’ampleur de la surveillance électronique de l’agence américaine de renseignement en 2013.

Le contexte politique semble donc plus favorable à Edward Snowden qu’il y a six ans, même si l’Élysée, contacté par Le Monde, s’est refusé à tout commentaire sur cette question. Mais la situation juridique de l’homme à l’origine du scandale de la NSA n’a, quant à elle, que peu évolué.

Le lanceur d’alerte américain pourrait, en théorie, déposer une demande au titre de la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, ou alors invoquer le droit d’asile constitutionnel. En pratique, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) accorde essentiellement le statut de réfugié au titre de la convention de Genève car “elle estime que la convention est assez large dans son objet” pour englober l’asile constitutionnel, explique Catherine Teitgen-Colly, professeur émérite à l’université Paris I et spécialiste du droit d’asile, contactée par France 24. Les cas où l’Ofpra a accordé le statut de réfugié constitutionnel ces deux dernières années se comptent sur les doigts d’une main.

Edward Snowden rentrerait “parfaitement dans les critères de réfugié au sens de la convention de 1951”, juge Gérard Sadik, responsable asile à la Cimade, une association de soutien aux migrants et demandeurs d’asile. Il peut, d’après lui, être considéré comme un opposant politique qui a des raisons de craindre des persécutions aux États-Unis pour les révélations faites en 2013.

Acte politique ou arme contentieuse

Mais les experts interrogés estiment, tous les deux, qu’Edward Snowden ferait mieux d’opter pour une demande d’asile constitutionnel. D’abord pour des raisons politiques. “La France s’honorerait à défendre ainsi le droit d’asile. Elle a pris la peine de l’inscrire dans sa Constitution. Certes, il est peu donné, mais il existe. C’est une occasion unique au regard du lanceur d’alerte qu’est Edward Snowden, et de la position française sur la protection des données personnelles”, estime Catherine Teitgen-Colly. Pour elle, dans un dossier aussi médiatique, ce serait une occasion en or pour Paris de rappeler pourquoi la France a été historiquement considéré comme une terre d’accueil pour les réfugiés. Le droit d’asile constitutionnel est en effet un principe révolutionnaire inscrit, pour la première fois, dans la constitution montagnarde de 1793. Il venait remplacer le droit d’asile comme fait du prince par un droit d’asile automatique à partir du moment où le demandeur “était banni de son pays pour la cause de la liberté”.

Au fil des siècles, la notion a évolué et c’est l’Ofpra qui encadre, aujourd’hui, son application. Il faut que le demandeur fasse état d’un “engagement actif en faveur de l’instauration d’un régime démocratique ou des valeurs qui s’y attachent” et qu’il prouve l’existence d’une persécution. En défendant la vie privée contre la surveillance de masse de la NSA, Edward Snowden a fait preuve “d’actions en faveur de la liberté”, selon Catherine Teitgen-Colly. Le fait que l’ex-consultant de la NSA a été privé de son passeport, et la lourde peine de prison (35 ans) dont a écopé Chelsea Manning – l’une des principales sources de WikiLeaks – seraient des preuves suffisantes de la persécution dont peuvent être victimes les lanceurs d’alerte qui s’attaquent aux services américains de renseignements. En outre, en 2014, le futur président américain, Donald Trump tweetait (déjà) des menaces on ne peut plus claires à l’égard d’Edward Snowden : il le considère comme “un espion qui a causé d’importants dégâts aux États-Unis. Un espion qui, quand notre pays était fort et respecté, aurait été exécuté”.

Mais le recours à l’asile constitutionnel aurait aussi un intérêt pratique. En 2013, la France n’a pas refusé l’asile à Edward Snowden… elle ne lui a juste pas permis de faire la demande en lui refusant un visa. “L’asile s’arrête en effet à nos frontières”, rappelle Gérard Sadick. Il faut se trouver sur le territoire national pour déposer un dossier à l’Ofpra.

Pour contourner l’obstacle, il serait possible d’utiliser “l’asile constitutionnel dans une logique contentieuse”, souligne ce spécialiste. Puisque le principe a une valeur constitutionnelle qui le place au-dessus des lois, “la question est de savoir si les autorités ont le droit de refuser de délivrer un visa dans ce cas”, poursuit cet expert de la Cimade.

Le texte du préambule à la Constitution sonne, en outre, comme un impératif puisqu’il stipule que toute personne “persécutée en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile” en France. En d’autres termes, le lanceur d’alerte pourrait contester un refus de visa devant les tribunaux français via ses avocats arguant qu’il est inconstitutionnel.

Et si les tribunaux ne lui donnaient pas raison, Edward Snowden peut toujours espérer un geste présidentiel. Emmanuel Macron a, en effet, le pouvoir d’accorder l’asile régalien. C’est peut-être ce que le lanceur d’alerte suggérait en affirmant que le président français pourrait lui lancer “une invitation”.

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