Jacob Zuma a finalement cédé sous la pression de son parti l’ANC. Le président sud-africain a donc démissionné tard mercredi soir, après avoir longtemps résisté aux pressions. Il quitte le pouvoir à reculons, miné par les soupçons de corruption qui ont entaché son mandat.
Ce sont finalement les affaires qui ont auront fait tomber le président sud-africain Jacob Zuma. Il quitte donc la présidence un an avant la fin de son deuxième mandat, embourbé dans les scandales, son image fortement entachée.
L’enfant pauvre du Kwazulu-Natal
Et pourtant en arrivant au pouvoir, Jacob Zuma représentait l’espoir des plus pauvres. Fils d’une femme de ménage, il ne reçoit aucune formation scolaire, et rejoint l’ANC à l’âge de 17 ans, alors qu’il est un garçon de courses. Des années de lutte contre l’apartheid, il sera emprisonné sur Robben Island au côté de Nelson Mandela pendant dix ans. C’est là qu’il apprendra à lire.
A sa sortie de prison, il rejoint la lutte armée, s’exil, s’occupe des services de renseignements au sein du mouvement. A la fin de l’apartheid, son ascension au sein de l’ANC, devenu parti au pouvoir, est rapide : responsable ANC du Kwazulu-Natal, ministre provincial, il devient vice-président du mouvement au côté de Thabo Mbeki.
En 2007, alors qu’il est accusé d’avoir touché des pots-de-vin dans une affaire de vente d’armes, il réussit tout de même à évincer Thabo Mbeki de la direction du parti avec le soutien de l’aile gauche du parti et les syndicats. Deux ans plus tard, il devient chef de l’Etat.
Pour le biographe Jeremy Gordin, l’aile gauche de l’ANC se méfiait de Thabo Mbeki, perçu comme trop distant, trop intellectuel : « Zuma au contraire était un homme du peuple, il était simple, il souriait, il était respectueux. Les gens n’étaient pas intéressés par ses scandales financiers, par les histoires de pots-de-vin dans une affaire de contrat d’armes. Les gens savaient ce que ça voulait que dire d’avoir des dettes. Zuma a grandi avec rien. Son père était un policier qui est mort quand il était très jeune. Il a quitté l’école très tôt pour aller s’occuper des chèvres de la famille. Sa réussite, il l’a doit à sa volonté de fer. Les gens aimaient ça. Et d’ailleurs si vous allez dans le fin fond du Kwazulu-Natal aujourd’hui, vous trouverez encore des gens qui l’aiment bien ».
La chute de l’enfant prodigue
S’en suivront neuf années de tumultes politiques. Scandales après scandales, homme de réseau, tacticien éprouvé, Zuma arrive à naviguer entre les écueils, et survie à plusieurs motions de défiance déposées contre lui au Parlement. Mais en 2016, l’étau se resserre. La plus haute cour du pays le reconnaît coupable d’avoir violé la Constitution. C’est le scandale Nkandla : l’utilisation de 18 millions d’argent public pour rénover sa résidence privée.
Enfin la goutte d’eau qui fait déborder le vase : un rapport officiel qui met en cause ses relations controversées avec une riche famille d’hommes d’affaires, d’origine indienne, les Guptas et qui recommande une enquête judiciaire. A partir de ce moment, le vent tourne, la contestation s’amplifie et les appels à sa démission se multiplient y compris au sein de son propre parti.
L’ANC le lâche
Tout au long de ses deux mandats, l’ANC a toujours soutenu publiquement Jacob Zuma même si en coulisse certaines voix s’élevaient. Très clairement, le scandale Nkandla a marqué une rupture. Puis est venu le limogeage du ministre des Finances Nhlanhla Nene, en décembre 2015. Le président Zuma le limoge sans raison et met à sa place un inconnu, avec peu d’expérience David van Rooyen.
En quelques heures, la monnaie nationale se casse la figure, les marchés sont inquiets, c’est la panique. L’économie va mal et on s’inquiète des conséquences de cette décision. Sous pression de son propre parti, Jacob Zuma est obligé de revenir en arrière et de nommer un autre ministre des finances Pravin Gordhan qui lui a la confiance des marchés.
Outre la panique du moment, l’incident soulève les questions : pourquoi ce limogeage ? Qui se cache derrière ? On soupçonne le président d’avoir voulu mettre un de ses fidèles au Trésor, pour pouvoir contrôler ce ministère. Peu à peu, les alliés traditionnels de l’ANC, le parti communiste et les syndicats, prennent leurs distances. Et menacent de ne pas appeler à voter pour l’ANC aux prochaines élections.
Pour Teffo Lesiba, de l’université de Pretoria, malgré tous les scandales, Jacob Zuma a su se maintenir au pouvoir grâce à ses réseaux : « C’est un bon tacticien. Il s’est construit un réseau solide autour de lui, et s’est assuré que de nombreuses personnes lui étaient redevables. Par exemple, parmi ceux qu’il a nommés à des postes dans le gouvernement ou à l’ANC, certains n’avaient pas les qualifications requises, ou avaient des casseroles aux fesses. D’ailleurs, certaines de ces nominations ont par la suite été annulées par la justice. Ceux qui sont toujours là sont tous des gens qui lui doivent quelques choses. Et c’est comme ça qu’il a réussi à se maintenir au pouvoir aussi longtemps. Grâce à ce réseau très soudé. Même maintenant, il a encore beaucoup de soutien au sein de l’ANC, et un bon nombre de ceux qui le soutiennent ont les mains sales, sont impliqués dans des affaires ».
2017, année noire
Mais en août 2016, la sanction tombe. Lors des élections municipales, l’ANC effectue le plus mauvais score de son histoire et perd le contrôle des villes de Johannesburg et Pretoria qui passent aux mains de l’opposition.
L’année 2017 lui sera fatidique. Le parti au pouvoir est plus que jamais divisé entre les pros et anti-Zuma. Les manifestations à l’appel de l’opposition et de la société civile se multiplient dans les grandes villes du pays. Les anciens compagnons d’armes de Nelson Mandela – ceux qu’on appelle les vétérans – le rejettent et appel à sa démission. La femme d’Ahmed Kathrada – compagnon de cellule de Nelson Mandela – ira même jusqu’à refuser que le président Zuma assiste à l’enterrement de son mari. Une vraie humiliation pour le chef de l’Etat.
Une humiliation qui se poursuit au mois de décembre. Lors de l’élection à la tête de l’ANC qui doit désigner le successeur de Jacob Zuma, son ex-femme Nkosazana Dlamini-Zuma, qu’il soutient, perd face à Cyril Ramaphosa.
Des promesses non tenues
Sous sa présidence, le pays s’est appauvri. Ses promesses de réformes économiques radicales n’ont jamais été concrétisées. Pour Daniel Silke, sous les neuf années de présidence Zuma le pays a considérablement reculé : « Ces dernières années, l’économie a été en récession par intermittence. La croissance économique est tellement faible qu’elle n’arrive pas à suivre à l’augmentation de la population. Nos institutions clés ont été sérieusement affaiblies par des interférences d’ordre politiques. Toutes les sociétés d’Etats ont été ravagées par la corruption. Et c’est dernière année, il y a clairement un malaise croissant vis-à-vis de la classe politique. Le pays est dans une mauvaise passe. Et je pense que le départ de Jacob Zuma va mettre fin à une période particulièrement difficile pour le pays ».
Aujourd’hui, c’est donc un président sali par des accusations de fraude corruption qui quitte le pouvoir.
rfi