Saturday, February 15, 2025
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Brahim Fassi Fihri : “Les opérateurs économiques sénégalais se concentrent trop sur le volet commercial”

L’Institut Amadeus, think tank marocain indépendant, tient ce jeudi, à Dakar, une conférence axée sur le thème : “Adhésion du Maroc à la Cedeao: Fondements, enjeux et perspectives communes”. Son fondateur, Brahim Fassi Fihri a expliqué, dans cet entretien avec Seneweb, les raisons de la tenue d’une telle rencontre à Dakar. Il a aussi donné son opinion sur le débat autour de la demande d’adhésion du Maroc à la Cedeao, tout en en regrettant, cependant, certaines facettes.

Pourquoi la conférence de Dakar ?

Pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’il y a un processus en cours, qui fait suite à la demande d’adhésion du Maroc à la Cedeao. Demande exprimée en février 2017 par sa majesté le Roi. Puis, il y a eu deux autres sommets qui ont suivi. Le 1er à Monrovia, où un accord de principe a été communiqué par les chefs d’Etat et de gouvernement. Puis, 6 mois plus tard, le sommet d’Abuja qui a mandaté la commission de la Cedeao et un quintet de chefs d’Etat pour définir les contours institutionnels d’un processus d’adhésion. Dans ce cadre, il était utile, pour nous, d’organiser au Sénégal, une conférence autour de la thématique d’adhésion du Maroc à la Cedeao. Ce, d’autant plus que ce processus, depuis le sommet de Monrovia et l’accord de principe, a été quelque peu entouré de certaines réticences et inquiétudes que nous souhaitons venir écouter, entendre, analyser. Mais aussi, répondre à certaines critiques qui paraissent quand même assez démesurés, certaines confusions qui doivent être dépassées, d’autant plus qu’il s’agit d’un pays comme le Sénégal, extrêmement lié au Maroc et auquel le Maroc est extrêmement attaché, avec une réciprocité dans les liens extrêmement solides qui unissent nos deux nations et nos deux peuples. Nous avons écouté et analysé, depuis le Maroc, un certain nombre de réticences et d’inquiétudes qui s’expriment au niveau du patronat sénégalais, au niveau d’une partie de la société civile, au niveau de certains leaders d’opinions et de journalistes. Moi je pense que certaines inquiétudes sont légitimes. Et c’est tout à fait logique qu’elles le soient dans une économie continentale globalisée. Il est logique de voir les gens s’interroger. Il est légitime que des inquiétudes puissent émerger. Par contre, ce qui est plus embêtant, ce sont certaines confusions qui méritent une réponse de la part du Maroc, d’autant plus que le Maroc ne veut absolument froisser personne, et que cette volonté d’adhésion est une volonté d’élargissement à une communauté avec laquelle le Maroc a tissé, depuis des années, des liens multidimensionnels très forts.

Quelles sont ces confusions ?

Lorsqu’on entend des expressions malheureuses comme “le loup dans la bergerie”, “l’impérialisme”, “le néocolonialisme marocain”, on ne peut que rejeter avec force ce type de langage qui est totalement faussé et totalement éloigné de l’esprit de partenariat qui lie le Maroc au Sénégal. Nous avons une multitude de champs de coopération, extrêmement denses, extrêmement diversifiés. Il y a le volet économique, culturel, politique avec le Sénégal, un pays qui s’est toujours montré aux côtés du Maroc notamment sur la question du Sahara. Et le Maroc aussi s’est toujours montré aux côtés du Sénégal sur l’ensemble des questions de développement mais aussi des questions économiques et politiques qui intéressent le Sénégal. Donc certaines expressions, peut être maladroites, ont quelque peu surpris au Maroc. D’autant plus qu’on comprend qu’il faut qu’il y ait un débat, on ne peut pas caricaturer le débat en pointant du doigt le Maroc. Le Maroc a une volonté totalement sincère de promotion de la vision de sa Majesté sur la coopération sud-sud. Et l’adhésion du Maroc à la Cedeao intervient dans un contexte où l’intégration régionale et continentale devient prioritaire. Donc nous souhaitons démontrer comme l’a exprimé sa Majesté que l’Afrique peut faire confiance à l’Afrique. Et le Maroc à travers son adhésion à la Cedeao veut donner corps à cette vision.

“Pour le Sénégal, il n’y a pas un risque majeur puisqu’avec ou sans le Maroc au sein de la Cedeao, à travers la Zleca, il y aura un libre échange entre le Maroc et le Sénégal.”

Vous l’avez dit, certains opérateurs économiques craignent l’entrée du Maroc au sein de la Cedeao du fait de la compétitivité des produits Marocains. Comment vous analysez cela ?

Il est important de n’éluder aucun sujet. Il n’y a pas de tabous. Mais quand on écoute les opérateurs économiques locaux, il y a peut-être un peu trop de concentration sur le volet commercial alors qu’il est important de dire que finalement, lorsqu’on regarde les champs de coopération entre le Maroc et le Sénégal, le volet commercial n’est pas extrêmement important. Les échanges commerciaux entre le Maroc et l’ensemble des pays de la Cedeao, c’est uniquement 2% de la part des échanges commerciaux mondiaux du Maroc. Et inversement le chiffre est à peu près similaire. Nous sommes autour de 1.5%. Lorsqu’on regarde les échanges commerciaux entre le Maroc et le Sénégal, 2/3 des produits importés par le Sénégal depuis le Maroc, sont des produits phosphatés. On parle beaucoup des agrumes, des oranges. Mais ça ne représente pas grand-chose. Donc pour le Sénégal, il n’y a pas un risque majeur puisqu’avec ou sans le Maroc au sein de la Cedeao, à travers la Zleca, il y aura un libre échange entre le Maroc et le Sénégal. Et le Maroc peut aussi apporter une contribution au développement du tissu productif local. Compte tenu de sa propre expérience, sa volonté est de mettre en pratique ce partage d’expériences.

Il est normal que la thématique commerciale soit mise en avant par les opérateurs économiques. Mais elle n’est pas décisive. On parle de chiffres qui ne sont pas extrêmement importants. Sur le volet des agrumes par exemple, j’ai vu un chiffre qui m’a interpellé : on parle d’un million de dollars d’importation de l’orange marocaine. Ce n’est pas énorme. Le déficit commercial du Sénégal avec la Chine ou avec la Turquie est beaucoup plus important. Avec le Maroc ce n’est pas un réel enjeu. D’autant plus que si on écarte le volet commercial, le Maroc est un investisseur au Sénégal. Il n’est pas forcément intéressé par le volet commercial. Le Maroc en adhérant à la Cedeao ne cherche pas un marché supplémentaire. Le Maroc cherche à s’insérer dans une plateforme qui est aujourd’hui présentée comme une communauté économique régionale de référence sur le continent. Le Maroc regarde avec beaucoup d’admiration ce qui a été fait par cette communauté depuis 40 ans. Donc le Maroc vient en apprentissage. Parce que nous Maghrébins nous n’avons pas su nous intégrer entre nous. Et ce fondement Ouest africain du Maroc est aujourd’hui totalement démontré.

“La fraternité maroco-sénégalaise qui est le ciment des liens entre le Maroc et l’Afrique de l’Ouest.”

Quels objectifs visez-vous à travers la conférence de Dakar ?

Notre objectif principal c’est de montrer que le Maroc est à l’écoute. A l’écoute de son partenaire sénégalais. Rien ne se fera sans nos frères sénégalais. Le Maroc en adhérant à la Cedeao souhaite amorcer un débat serein, autour de thématiques qui méritent d’être posées. Et le Maroc souhaite surtout que sa demande d’adhésion à la Cedeao puisse se faire dans un climat des plus sains possible. Puisque la volonté du Maroc en adhérant à la Cedeao est une volonté saine, contrairement à certaines parties qui disent que le Maroc est opportuniste. Non pas du tout. Le Maroc a une profonde histoire, un profond encrage Ouest africain. Le Maroc n’a pas attendu la demande d’adhésion pour être le premier investisseur africain en Afrique de l’Ouest ou pour avoir des liens multidimensionnels, des liens économiques, politiques, socioculturels. Le Maroc est le seul pays de l’Afrique du nord à avoir régularisé en masse des migrants issus de la région. Le Maroc est le pays d’Afrique du Nord où 9 pays de la Cedeao sur 15 n’ont pas besoin de visa pour venir au Maroc. Il y a une dynamique entre le Maroc et les pays africains. Donc c’est pour cela qu’il faut gommer ces mots comme “opportunisme”. Le Maroc est pragmatique. Aujourd’hui, il a plus de points en partage avec l’Afrique de l’Ouest qu’avec d’autres régions. Et au moment où l’intégration régionale devient prioritaire au sein du continent, il est tout à fait normal que le Maroc puisse souhaiter s’insérer dans cette dynamique d’intégration Ouest africaine. Donc notre objectif est d’écouter, de répondre à certaines interrogations, d’essayer de corriger certaines images négatives comme celles que j’ai citées initialement, pour pouvoir revenir préalablement vers les décideurs marocains et Sénégalais avec un certain nombre de recommandations. Ce, pour démontrer que cette adhésion du Maroc au sein de la Cedeao ne pourra se faire qu’avec le soutien de l’ensemble des parties prenantes sénégalaises et que sans le Sénégal il ne pourrait pas y avoir d’adhésion du Maroc au sein de la Cedeao. Parce que c’est cette fraternité maroco-sénégalaise qui est le ciment des liens entre le Maroc et l’Afrique de l’Ouest.

Votre dernier message ?

Je suis ravi d’être au Sénégal. Je suis là depuis 3 jours. J’ai eu beaucoup d’échanges avec un certain nombre d’acteurs sénégalais de divers horizons. Evidemment ce n’est pas une surprise : l’attachement du Maroc au Sénégal est une réalité. Je crois que l’ensemble de nos interlocuteurs se réjouissent de cette opportunité de participer à cet évènement autour de ce sujet de l’adhésion du Maroc au sein de la Cedeao. Ce, pour permettre d’avancer sereinement en confiance, main dans la main, comme on l’a toujours fait. Le Maroc vient en frère, en partenaire. Il ne s’agit pas de donner des leçons. Au contraire, nous venons pour apprendre.

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