
Si l’on a souvent évoqué le défi que le Brexit représente pour les entreprises nationales et étrangères, le commerce, la sécurité, la frontière irlandaise, l’Écosse, les préoccupations des minorités au Royaume-Uni, en particulier les Noirs, ont été peu évoquées. Reportage à quelques kilomètres seulement du Parlement britannique, dans le quartier afro-caribéen de Londres, Brixton.
De notre envoyée spéciale à Londres,
À moins de 20 minutes de King’s Cross station sur Victoria Line, à la veille d’un moment historique pour le Royaume-Uni, les habitants de Brixton ne font pas exception. Ici aussi, les gens sont lassés de la saga Brexit. Comme beaucoup de Britanniques, ils se sont divisés, fâchés. Et ils vont devoir aller de l’avant sans toutefois bien comprendre de quoi demain sera fait. Une jeune fille d’une quinzaine d’années au regard un peu triste regrette cette division qui s’est installée parmi la population : « Il n’y a plus d’unité ». Une tristesse partagée par beaucoup de personnes rencontrées dans le quartier où les Black Brits, souvent d’origine jamaïcaine, ont voté en 2016 contre la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne -78 % dans le district de Lambeth auquel appartient Brixton-.
Exaspération envers les politiciens
Il faut dire que le cosmopolitisme de Londres est une marque de fabrique. Donna, une Britannique d’origine jamaïcaine, y est très attachée et espère que cela ne changera pas l’image de la capitale britannique vis-à-vis de l’extérieur. « On doit rester connectés les uns aux autres et apprendre à vivre ensemble. On n’a pas le choix. Et c’est cette diversité qui donne de l’énergie à un pays, une envie d’aller de l’avant tous ensemble, économiquement aussi ».
Maraîchers africains, vendeurs de tissus wax, restaurateurs jamaïcains répondent sans conviction à nos interrogations sur les conséquences que peuvent avoir pour eux le Brexit . Bien souvent, ils ne savent plus quoi en penser. « On verra, explique Jason, Jamaïcain installé au Royaume-Uni depuis 40 ans. On ne sait pas s’ils disent la vérité. Les travailleurs européens, notamment les Polonais, vont partir. Il y aura peut-être plus de travail pour nous les Africains, les Caribéens. Mais on ne sait pas si ça va vraiment se passer comme ça. Le plus difficile c’est de comprendre vraiment qui ment, qui dit la vérité ». Cette défiance vis-à-vis de la classe politique qui a donné de la voix pendant près de 4 ans à la Chambre des communes ou dans les médias est palpable.
Un discours nationaliste qui ne se cache plus
Les débats sur le Brexit sont restés largement silencieux sur les préoccupations des groupes ethniques minoritaires au Royaume-Uni. Et pourtant, c’est bien sur cet argument du contrôle de l’immigration et sur le retour à la souveraineté nationale que le Brexit s’est construit et a fini par convaincre. Jordan Jarrett Bryan, journaliste et fondateur de la plateforme It’s All Blakademik est inquiet lui aussi. Le scandale de la génération Windrush a refait surface l’an dernier quand le gouvernement a fait part de sa volonté d’expulser une cinquantaine de personnes vers la Jamaïque. Jordan Jarrett Bryan en est persuadé, le Royaume-Uni, avec le Brexit, installe l’idée qu’il faut revenir à une Grande-Bretagne « plus blanche » avec moins d’immigrés. Une femme ivoirienne nous confie qu’elle se demande comment elle va faire désormais pour aller voir sa famille installée en France. De quels papiers aura-t-elle besoin ? Quant au regroupement familial, elle n’est guère optimiste. Faire venir sa famille risque de ne pas être facilitée par les nouvelles lois sur l’immigration.
Pas question d’aller faire la fête donc pour les habitants de Brixton. La vie continue. Certains en sont même persuadés, la saga n’est pas terminée. Et qui sait, le Royaume-Uni retombera peut-être un jour amoureux de l’Europe.