Une compagnie minière canadienne s’apprêtait à comparaître devant un tribunal pour « esclavage » et « travail forcé » en Erythrée, suite à la plainte d’anciens employés qui travaillaient alors qu’ils étaient enrôlés dans le redoutable service militaire obligatoire auquel est astreinte la jeunesse du pays. Mais un accord avec les plaignants a été trouvé à la dernière minute.
Il n’y aura finalement pas de procès au Canada pour « esclavage » dans la mine d’or, de cuivre et de zinc de Bisha, en Érythrée. Car un accord passé début octobre entre la compagnie minière exploitant le site, Nevsun Ressources Ltd., et une soixantaine de plaignants érythréens, éteint de fait l’action de la justice, après avoir malgré tout posé d’importants jalons pour d’éventuelles procédures similaires dans un pays où l’industrie minière pèse environ 3% du PIB.
Le 28 février dernier, la Cour suprême du Canada avait en effet rendu un arrêt historique permettant à une multinationale d’être justiciable pour ses actes ou ses complicités criminelles à l’étranger, ouvrant la voie à un procès de Nevsun en bonne et due forme. Dans la justification de l’arrêt, la juge Rosalie Silberman Abella avait expliqué que les droits de l’homme « n’étaient pas censés être des aspirations théoriques ou des luxes juridiques, mais des impératifs moraux et des nécessités juridiques ». Dès lors, la perspective n’était pas favorable pour Nevsun, étant donné les multiples victoires déjà remportées par les plaignants devant la justice pour faire reconnaître successivement la légitimité de la procédure, la compétence du Canada et le sérieux de leurs allégations.
Mais un communiqué de presse laconique est venu clore, début octobre, cette saga politico-judiciaire. En trois phrases savamment pesées, les parties prenantes mettent un terme au au litige et sont désormais tenus de s’abstenir de commenter l’accord auprès de la presse. La présentant comme une « conclusion mutuellement satisfaisante », ce communiqué annonçait la signature d’un accord « aux termes confidentiels », mettant fin à la procédure judiciaire engagée en 2014. Selon une source proche du dossier, il s’agirait d’un accord financier obtenu grâce à la médiation d’un juge canadien à la retraite.
Rachat par une société chinoise
C’est donc la fin d’un feuilleton judiciaire tenant depuis des années les amateurs de batailles juridiques internationales en haleine, mais aussi les militants d’associations de défense des droits de l’homme qui documentent le sort des conscrits du redoutable service militaire obligatoire érythréen, dont certains ont été forcés de travailler dans la mine de Bisha sous la férule de militaires, dans des conditions très éprouvantes et pour une paye de misère.
Il faut noter que cet accord fait suite au rachat en 2018 de la société Nevsun, initialement composée d’investisseurs occidentaux entrés en « joint-venture » avec la compagnie d’Etat érythréenne ENAMCO, par la société chinoise Zijin Mining. Laquelle société chinoise, selon une bonne source, aurait souhaité régler le litige canadien une fois pour toutes, sachant qu’elle allait, de toute façon, être probablement condamnée.
Mauvaise publicité
Hasard du calendrier, et cédant également à la pression de la mauvaise publicité, la Commission européenne vient elle aussi de renoncer à financer des chantiers de route en Érythrée, où étaient employés des conscrits du service militaire obligatoire. Plusieurs députés européens s’étaient inquiétés publiquement de la connaissance manifeste de l’emploi de conscrits, par les sous-traitants érythréens, sur les sites financés par Bruxelles, comme à Bisha. Au début de l’année, ils avaient demandé des comptes au Service d’action extérieure de l’UE, qui avait été bien en peine de se défendre, ayant fait figurer cette information noir sur blanc dans les contrats passés avec le gouvernement érythréen. Or l’été dernier, après des auditions embarrassantes devant les députés, la décision a été prise : il n’y aura plus de financement européen pour les routes, Bruxelles admettant que de tels projets ne sont « pas faisables ».
Par conséquent, le 22 septembre dernier, la plainte déposée contre l’UE par un collectif d’Érythréens basé au Pays-Bas a été logiquement retirée. Une source proche de la fondation « Droits de l’homme pour les Érythréens » basée à Amsterdam estime que les derniers engagements pris par les Européens rendaient l’affaire « difficile à gagner ». Et le risque était par conséquent, en cas de verdict défavorable, de mettre en péril de potentielles affaires similaires à venir.
Mais du côté des élus européens qui suivent de près le dossier, on recommande toujours la vigilance. « On ne sait toujours pas clairement ce que finance précisément l’Union européenne en Érythrée, estime-t-on du côté du Parlement. Ni par où exactement passe l’argent. »
rfi