Les élections présidentielle et législatives en Centrafrique, dont le premier tour est prévu le 27 décembre, semblent jouées d’avance pour le sortant Faustin Archange Touadéra, selon nombre d’observateurs, mais les suites pourraient être lourdes de risques dans un pays toujours en guerre civile.
Les violences entre groupes armés à dominante musulmane ou chrétienne et animiste ont bien baissé d’intensité depuis 2018 et les exactions encore perpétrées contre les civils relèvent aujourd’hui davantage de motifs crapuleux que communautaristes.
Mais les milices rebelles, qui contrôlent encore deux tiers du territoire de ce pays parmi les plus pauvres du monde, pourraient tirer profit d’une crise politique et institutionnelle en cas de contestation des résultats.
La présidentielle est-elle jouée d’avance ?
Pas tout à fait, même si les politologues, comme une majorité de Centrafricains heureux ou résignés, anticipent une victoire de M. Touadéra.
Surtout depuis que la Cour constitutionnelle a invalidé début décembre la candidature de son principal rival, François Bozizé, renversé en 2013 par un putsch qui a marqué le début de la guerre civile, en raison de poursuites pour “assassinats” et “tortures” et de sanctions de l’ONU. Prétextes fallacieux, pour le camp de M. Bozizé, qui accuse le régime d’avoir dicté cette décision à la juridiction suprême.
Privée de son leader, l’opposition avance en ordre très dispersé, avec 16 candidats contre M. Touadéra, qui pourrait donc plus facilement l’emporter dès le premier tour.
L’enjeu réside donc dans l’attitude de M. Bozizé et son parti, le Kwa Na Kwa (KNK).
“Des outsiders tels que Anicet-Georges Dologuélé ou Martin Ziguélé (anciens Premiers ministres) pourraient contraindre Touadéra à un second tour, si l’un bénéficie du plein soutien de Bozizé”, estime Hans de Marie Heungoup, du centre de réflexion International Crisis group (ICG). “Un second tour serait à coup sûr périlleux pour le président sortant, qui pourrait faire face à un front rassemblé de l’opposition”, explique le chercheur.
Et l’opposition assure que le camp Touadéra aura recours aux fraudes pour tout faire pour l’emporter au premier tour.
L’opposition peut-elle gagner du terrain aux législatives ?
La compétition promet d’être plus rude. “Malgré les moyens de l’Etat, le jeune parti du président”, le Mouvement Cœurs Unis (MCU), “n’a pas encore un solide enracinement et le KNK éliminé de la présidentielle sera bien présent aux législatives”, assure Hans de Marie Heungoup.
L’ethnie Gbaya, l’une des principales du pays, reste fidèle à M. Bozizé, et le KNK est solidement ancré dans le Nord-Ouest, sa région, la plus peuplée après la capitale Bangui. Le reste de l’opposition jouit aussi de bastions à travers le pays.
“Les logiques de vote communautaristes sont encore plus fortes aux législatives qu’à la présidentielle”, rappelle Hans de Marie Heungoup.
Y-a-t-il un risque d’embrasement ?
Les observateurs nationaux et internationaux situent ce risque plutôt après les élections qu’avant ou pendant.
Les groupes armés auraient bien la capacité de perturber le scrutin, d’autant que les candidatures de nombre de leurs cadres ont été invalidées. Mais la Mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca), forte de 11.500 Casques bleus, a promis de déployer un important dispositif pour assurer la sécurité du vote.
La population reste peu politisée et, même si des contestations violentes des résultats ne sont pas à exclure, surtout dans la capitale aux réactions de rue potentiellement éruptives, l’hypothèse de manifestations d’ampleur est jugée peu probable par les diplomates et les politologues. A fortiori depuis que la Russie a livré une vingtaine de blindés anti-émeute.
Aujourd’hui, c’est plutôt François Bozizé qui cristallise les inquiétudes. Le camp Touadéra accuse ce putschiste récidiviste, de 1983 jusqu’à sa prise du pouvoir en 2003, de vouloir tenter un nouveau coup de force.
Depuis l’invalidation de sa candidature, ce général à la retraite est parti en brousse, dans un de ses fiefs du Nord-Ouest, où il demeure très populaire. C’est aussi un important foyer de milices qui lui sont restées fidèles et il pourrait être tenté de recruter des hommes, redoutent des diplomates et des ONG.
“Mais il serait assez mal calculé pour Bozizé de tenter quelque chose avant les élections, et de se mettre toute la communauté internationale sur le dos”, tempère Thierry Vircoulon, spécialiste de l’Afrique centrale et australe pour l’International Crisis Group (ICG).
Pour lui comme d’autres spécialistes du pays, c’est dans les mois qui suivent les élections que les risques d’embrasement seront les plus grands.
Afp