TRIBUNE. Le traitement à base de chloroquine du Pr Raoult contre le Covid-19 divise. Aimé Bonny, professeur de cardiologie, détricote les chiffres.

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Moins de malades à Marseille ?
Le Pr Raoult a déclaré dans l’une de ses interviews que « l’on ne peut pas transformer un malade en objet de recherche ». Or il ne fait que ça pour convaincre le monde, qui lui fait aveuglément confiance, justement pour se prévaloir de plus de 1 800 publications dont plusieurs ayant inclus des patients. Simplement, il le fait de façon peu conventionnelle, à la façon d’un marginal. Pour appuyer sa démonstration de l’efficacité de son protocole (utilisant les malades), il affirme qu’il y a moins de malades à Marseille. Conclure que la faible prévalence de malades (personnes contaminées) dans la région de Marseille serait la conséquence du traitement précoce des personnes dépistées positives est tentant pour un profane. Or ceci est une contre-vérité scientifique.
Le taux de contamination d’une population donnée dépend essentiellement de sa capacité à observer une distanciation structurelle (difficile, par exemple, dans des situations de promiscuité comme en Seine-Saint-Denis) ou individuelle (port de masque, lavage des mains et autres gestes barrières). Les facteurs environnementaux favorisant la circulation du virus sont peu clairs, mais plausibles. C’est certainement l’une des raisons de la distribution inégale du taux de circulation du virus en France (la Corse, la Bretagne, la Normandie, les Pays de la Loire, voire le Centre-Val de Loire, la Nouvelle-Aquitaine, l’Occitanie étant les régions les moins touchées) et dans le monde (l’Afriquesubsaharienne dans l’ensemble relativement épargnée).
Bataille des chiffres
Par ailleurs, au 7 avril, les taux d’hospitalisation en réanimation et de décès de plusieurs régions en France n’utilisant pas le protocole marseillais sont soit meilleurs (Corse : < 1 % et < 0,5 % respectivement), soit superposables (Bretagne : 2 % et 1 % respectivement). Si on pondère les taux de morbidité et mortalité du Covid-19 à la gravité de l’état des malades, le Pr Raoult ne saurait revendiquer le rôle miraculeux de son traitement. En effet, alors que 95 % de sa population traitée est stratifiée comme ayant une forme « légère » de la maladie (les images des candidats attendant quatre heures dans les longues files de l’institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection l’attestent), les données chinoises revendiquent la forme « modérée » chez 81 % des cas. Les données brutes des régions françaises les moins contaminées citées plus haut sont meilleures que celles de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), incluant la ville de Marseille. En effet, les régions Centre-Val de Loire, Nouvelle-Aquitaine et Normandie se portent mieux avec 2 % de mortalité contre 6 % en Paca.
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Au pointage du 9 avril, en Paca, le département des Bouches-du-Rhône paie le plus lourd tribut à la maladie avec 144 décès. Autrement dit, la recette du Pr Raoult n’est en rien une assurance tout risque. Pour mieux apprécier sa saveur, le choix du dénominateur permettant le calcul des taux de mortalité est crucial. Oui, la bataille médiatique du traitement du Covid-19 est d’abord celle des chiffres. Or, selon qu’on rapporte le nombre de cas hospitalisés en réanimation ou de patients décédés au nombre de personnes dépistées (avec un niveau de sévérité différent) ou hospitalisées (même biais de différence de sévérité) ou encore à la population générale du territoire (le meilleur critère), les chiffres divergent. Rapportés au nombre de personnes hospitalisées, on a plus de morts en Normandie (25,4 %) qu’en Nouvelle-Aquitaine (22,4 %) et que dans les Bouches-du-Rhône (14,7 %), alors que les taux du premier et du dernier territoire cités s’égalisent lorsqu’on prend pour dénominateur les populations globales des deux territoires (0,005 % vs 0,007 %) ; la Nouvelle-Aquitaine étant le lieu où il serait conseillé de vivre, avec 0,0002 % de cas. Ce comparateur est plus objectif que celui utilisant le nombre de cas positifs détectés puisque le nombre de tests effectués est inégal entre les régions et que la moyenne d’âge des candidats aux traitements est disparate (44 ans dans la cohorte de Marseille).
Pas mieux qu’un placebo
Enfin, la population soignée à l’IHU de Marseille revendique un taux de guérison de 91 %, contre une moyenne de 88 % dans la littérature mondiale. Rapporté au score de risque moins élevé des patients du Pr Raoult, dont la moyenne d’âge est très faible (44 ans), il est fort à parier que la différence serait statistiquement non significative. Cette quasi-certitude est renforcée par la modélisation de l’Imperial College of London, qui prédit une prévalence de 2 millions de personnes infectées en France pour une dizaine de milliers de décès, soit un taux approximatif de 0,5 %, qui est exactement le résultat de Marseille. Autrement dit, l’association hydroxychloroquine et azithromycine ne ferait pas mieux que le placebo.
Socrate et Nostradamus
Cette guerre fratricide ne profitera à personne au final. La science en sortira fragilisée et décrédibilisée, le Pr Raoult, en course pour le prix Nobel de médecine, ou un gourou. Dans tous les cas, l’on se souviendra d’un homme dont l’absence d’humilité et d’un minimum de doute est manifeste, contrairement à Socrate qui déclarait « Je sais une chose, c’est que je ne sais rien » pour affirmer la reconnaissance de son ignorance comme attitude nécessaire à la quête du savoir.
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On se souviendra également de ses phrases « Les mathématiques ne servent à rien » ou « les Nostradamus se sont trompés ». On n’oubliera pas l’omniprésence du Pr Philippe Douste-Blazy qui, sur tous les plateaux de télévision acquis à la cause de ces « sachants » autoproclamés, n’hésitait pas à faire mentir les statistiques de mortalité par département pourtant consultables par les journalistes. Ce virus nous aura fait plus de mal qu’on ne l’aurait prédit.
* Aimé Bonny est cardiologue, université de Douala-Cameroun.