Le ministère haïtien de la Santé publique a annoncé ce jeudi matin le décès d’une deuxième personne souffrant du Covid-19. Selon le communiqué de presse, il s’agissait d’une femme âgé de 69 ans souffrant de tension artérielle. Les autorités comptent désormais 30 malades confirmés. Un chiffre largement sous-estimé, reconnaît le ministère, en raison d’absence de tests de dépistage suffisants. Les détails avec Frantz Duval, rédacteur en chef du journal haïtien Le Nouvelliste.
Il y a désormais 30 cas confirmés du Covid-19 en Haïti. Deux d’entre eux sont décédés. Aucun parmi les 28 autres malades n’a encore été déclaré guéri. Plusieurs de ces personnes ne présentent aucun symptôme visible, bien qu’elles soient contrôlés positif au coronavirus. Cela perturbe la population qui a du mal à comprendre qu’un malade du Covid-19 ne soit pas obligatoirement alité. Certains de ces malades asymptomatiques ont déclaré à la radio ne pas comprendre pourquoi on les gardait à l’hôpital. Alors que les protocoles de prise en charge et de quarantaine n’étaient pas rodés à l’arrivée de la pandémie en Haïti.
RFI : Beaucoup d’Haïtiens ont toujours du mal à croire à la véracité de la menace qui pèse sur eux.
Frantz Duval : Tout à fait. D’ailleurs l’éditorial du Nouvelliste fait aujourd’hui référence au miracle de Pâques pour dire aux gens : il faut croire sans voir et surtout croire sans commencer à souffrir soi-même. En Haïti, nombreux sont ceux qui doutent. Les réseaux sociaux n’aident pas. On cherche toute sorte d’arguments pour expliquer que la maladie n’existe pas, que les gens ne vont pas mourir et que le gouvernement a inventé la maladie. Mais il faut souligner aussi que la communication du gouvernement, tout comme le protocole de prise en charge des malades, n’est pas prête. Le gouvernement ne communique, ne sensibilise pas assez.
Le Nouvelliste publie également en Une ce matin un article qui raconte que la maladie n’est que très peu présente dans les conversations des habitants de province. Les gens continuent à vaquer à leurs occupations comme d’habitude. Il faut vraiment tomber sur quelqu’un qui écoute les radios de Port-au-Prince et qui essaye de s’informer sur internet pour pouvoir observer des gestes de précautions. Et même face à une telle personne bien informée, les gens n’y croient pas.
L’article que vous citez raconte le voyage d’une mère qui quitte Port-au-Prince avec ses enfants pour s’abriter du Covid-19 à la campagne. Est-ce un cas unique ou une tendance que vous constatez plus globalement ?
Ceux qui le peuvent, quittent la ville. Les habitants de la capitale essayent de fuir Port-au-Prince, une ville surpeuplée, pour aller s’installer en province, espérant d’y trouver un peu d’air frais et plus d’espace, espérant aussi de trouver un peu plus de tranquillité. Parce que Port-au-Prince est touché par le Covid-19 mais a toujours aussi des problèmes d’insécurité. Le confinement, l’arrêt de beaucoup d’entreprises ainsi que la fermeture des écoles suscitent donc une envie d’aller voir ailleurs. Même si parfois on se dit que quand on tombe malade, mieux vaut être malade à Port-au-Prince qu’en province (en raison de la faiblesse du système sanitaire et médicale dans les zones rurales en Haïti, ndlr).
Vous parliez de la fermeture des écoles : pour les élèves et étudiants haïtiens cette suspension des cours est particulièrement dramatique. Parce qu’ils ont déjà perdu trois mois, entre septembre et décembre 2019, en raison du mouvement de contestation « pays lock ». Dans l’édition du Nouvelliste de ce jeudi, vous revenez dans un article sur les défis que pose l’enseignement à distance en Haïti.
On ne s’attendait ni au Covid-19, ni au confinement. Le ministère haïtien de l’Education nationale et de la Formation professionnelle essaye de lancer des plateformes numériques pour que la formation puisse se poursuivre à distance. Mais cette volonté se heurte à la réalité haïtienne. D’abord au problème de l’électricité : l’électricité est rare, à Port-au-Prince et dans tout le reste du pays. Ensuite il y a le problème des équipements. Une grande majorité des élèves et étudiants haïtiens ne disposent pas d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un smartphone pour pouvoir accéder aux contenus même si ces contenus existaient. Et enfin il y a le problème des contenus mêmes : Haïti n’était pas préparé pour lancer la formation à distance. Aujourd’hui il faudrait mettre l’ensemble du système scolaire et universitaire en ligne. Nous sommes dépassés, même si le ministère de l’Education veut donner l’impression que quelque chose est en train de se mettre en place.
En Haïti, l’école est depuis toujours une école à plusieurs vitesses. Les écoles les plus huppées avaient déjà l’habitude de transmettre les devoirs aux élèves. Souvent c’était un répétiteur, un professeur à domicile qui accompagnait l’élève à la maison. Mais aujourd’hui, avec la peur du Covid-19, les familles n’acceptent plus les personnes qui viennent de dehors. Les familles huppées se sont barricadées, espérant que la pandémie ne rentre pas chez elles.
Pour les autres élèves et étudiants, l’écrasante majorité, cette année scolaire 2019-2020 sera une année perdue. L’ancien ministre, Nesmy Manigat, a même lancé un appel pour qu’il n’y ait pas de redoublements. Car pour les parents défavorisés, ce serait la double peine : ils devraient repayer entièrement pour la même année scolaire (plus de 80 % des écoles haïtiennes sont des établissements privés, ndlr.). L’idée avancée par l’ancien ministre est de réaménager le calendrier et les programmes scolaires pour l’année 2020-2021 afin de permettre aux élèves et étudiants de rattraper leur retard durant une année scolaire plus dense tout en avançant dans la prochaine classe.
Pendant ce temps, les entreprises du secteur privé haïtien cotisent pour soutenir la lutte contre la pandémie.
Haïti n’a pas les moyens de se battre. Le pays a obtenu des promesses de dons pour l’aider dans la lutte contre le Covid-19. Mais ces promesses prendront du temps à se matérialiser. Entre temps, ce sont les entreprises privées haïtiennes qui cotisent pour essayer de faire barrage au coronavirus. La compagnie de téléphone fait don aux hôpitaux d’argent et de respirateurs. Les vendeurs de voitures cotisent entre eux pour faire des dons d’argent à la coalition qui se battra contre le Covid-19. Les banques aussi réunissent leurs plus grands clients pour faire des dons. Ce mouvement au sein du secteur privé haïtien est en train de se poursuivre : chacun apporte sa contribution en nature ou en espèces pour renforcer la commission qui est en train de former le personnel médical et de mettre sur pied des centres d’accueil pour les malades potentiels du Covid-19 en Haïti.
Comme partout dans le monde, les cérémonies de ce week-end pascal seront également perturbées en Haïti.
Cela fait déjà plusieurs dimanches que les églises sont fermées en Haïti, en respectant le mot d’ordre des autorités. Toutes les confessions avaient publiées des notes de presse pour annoncer que leurs portes seraient fermées, que les cérémonies n’allaient pas de tenir, que les funérailles n’allaient être organisées qu’en très petite comité, avec pas plus de dix personnes autorisées. Il en sera de même pour la semaine sainte. Au côté du ministère haïtien de l’Intérieur, les églises ont encore affirmé hier qu’elles resteraient portes closes pendant la période pascale.
Le coronavirus barre aussi la route aux bandes de rara.
C’est une grande période de fête pour les villes de provinces, où chaque temple de vaudou a sa bande de rara. Les bandes de rara sont composées de personnes qui, en jouant de la musique, partent à pied sur un parcours de plusieurs centaines de kilomètres. Cela se déroule dans la période allant du mercredi des Cendres, après le Mardi gras, au dimanche de Pâques. Comme chaque année, cette semaine aurait dû être la grande finale pour ce qui est à la fois une fête païenne et un pèlerinage religieux. Mais rien de tout cela n’aura lieu. Le gouvernement a interdit aux bandes de rara de défiler ce qui perturbe leurs traditions. Dans certaines régions, les bandes de rara obéissent aux consignes données par les autorités. Sur les réseaux sociaux circulent pourtant des images de bandes de rara qui défilent quand-même. Leurs membres soulignent la partie religieuse de cette tradition qui, selon eux, doit être respectée au risque de s’attirer la colère des loas, les divinités vaudous.