Afin de moderniser une économie de rente pétrolière à bout de souffle, le président gabonais Ali Bongo Ondimba a lancé depuis son accession au pouvoir un ambitieux plan de diversification basé sur de grands chantiers. Souvent attribués à des groupes asiatiques, ils n’auraient eu selon ses opposants qu’un “effet cosmétique”.
A Batouri (nord), au milieu de la forêt surgit une immense plaine nue. Une toute nouvelle plantation d’hévéa doit faire du Gabon un pays producteur de caoutchouc d’ici 2018. Avant la saison des pluies en septembre, des dizaines d’ouvriers à bord de bulldozers arrachent les derniers arbres, bientôt remplacés par des pousses d’hévéa.
Le pouvoir gabonais a ouvert ses portes au géant de Singapour Olam contre la promesse de 400 millions de dollars d’investissements, une usine de transformation du caoutchouc et 5.000 emplois à terme.
Outre l’hévéa, Olam a investi dans 100.000 hectares de plantations de palmiers destinés à l’huile de palme dans le sud du pays. Le groupe agroalimentaire a aussi cofinancé avec l’Etat la zone économique spéciale de Nkok (1.000 ha à une trentaine de kilomètres de Libreville) pour la transformation des matières premières comme le bois, avec un régime fiscal très favorable.
Depuis l’élection d’Ali Bongo Ondimba en 2009, les nouveaux investisseurs asiatiques affluent au Gabon, quitte à parfois bousculer l’ancienne puissance coloniale française, longtemps privilégiée dans ce pays d’Afrique centrale d’à peine deux millions d’habitants.
“J’ai appelé les entreprises françaises à investir beaucoup plus” au Gabon, confiait récemment à l’AFP le chef de l’Etat, candidat à un deuxième septennat samedi. Mais aujourd’hui le continent “attire tout le monde” et “les Africains ont le choix de leurs partenaires”.
L’objectif: diversifier une économie de rente pétrolière à bout de souffle pour faire du Gabon “un pays émergent” à l’horizon 2025.
Marina, routes, stades de foot… : des dizaines de grands projets d’infrastructures sont confiés à des groupes chinois, à l’instar du stade de 20.000 places dans le nord du pays à Oyem, actuellement en construction pour accueillir la prochaine Coupe d’Afrique des nations de football (CAN) en janvier 2017.
Un des leaders mondiaux du BTP, Shanghai Construction General (SCG), a remporté le marché convoité par plusieurs sociétés européennes dans cette ville située à une centaine de kilomètres des plantations de Batouri.
“L’exécution se fait en un temps record, moins de 18 mois!” se félicite le chef de projet de l’Agence nationale des grands travaux, Franck Dominguo. Environ 400 ouvriers travaillent sur le site, dont la moitié sont chinois.
-‘Diversification de façade’-
Les grands projets lancés sous l’impulsion d’Ali Bongo sont pourtant très controversés, ses détracteurs dénonçant une “diversification de façade”.
Dans un pays qui regorge d’immenses richesses (pétrole, mines, bois…) avec un PIB par habitant parmi les plus élevés d’Afrique (environ 8.300 dollars), un tiers de la population vit encore dans la pauvreté. Le chômage frappe plus de 35% des jeunes, selon la Banque mondiale.
“Il y a eu de bonnes idées au départ”, estime l’ancien ministre de la Prospective Anaclet Bissielo. “Mais à l’arrivée, on s’est rendu compte que ce n’est que du cosmétique.”
“Beaucoup de chantiers sont à l’arrêt, accuse-t-il, à cause de la corruption du gouvernement actuel, qui a dilapidé les ressources et ne paye plus le secteur privé: la marina (port de Libreville), les logements sociaux, la route nationale”, seul axe routier permettant de sortir de la capitale.
“L’ancien président Omar Bongo avait créé 13 parcs nationaux, de vrais joyaux. L’étape suivante devait être leur mise en valeur mais rien n’a été fait pour développer le tourisme”, selon lui.
La chute des cours du baril n’a rien arrangé, obligeant le gouvernement à limiter les dépenses publiques.
Mais le président défend mordicus son bilan: “Nous avons pu faire chuter la part du pétrole dans le PIB qui est passé de plus de 40% à un peu plus de 20%”.
Le Gabon a par ailleurs lancé un programme agricole ambitieux pour réduire sa dépendance alimentaire, alors que plus de 80% de la nourriture est importée de l’étranger.
“Graines” doit permettre à des milliers de familles d’obtenir gratuitement des terres et des titres de propriétés pour cultiver manioc, banane, tubercules ou cacao.
“Au moins, ça nous permet de manger”, estime Eric, cultivateur près de la plantation d’Olam. “L’hévéa, nous n’en voulons pas. C’est une agriculture de rente, du gros business qui appauvrit nos terres.”
Afp