À 68 ans, Cellou Dalein Diallo se présente pour la troisième fois à une présidentielle en Guinée. Cet ancien technocrate, adepte du compromis, un temps Premier ministre de l’ancien président Lansana Conté, est devenu l’un des principaux opposants au pouvoir en place. Il espère, cette fois, remporter le scrutin face au chef de l’État sortant, Alpha Condé, dont la candidature à un troisième mandat est contestée.
« Je suis un libéral, je ne peux rien vous refuser », dit Cellou Dalein Diallo lorsqu’il se plie, tout en politesse et en courtoisie, à l’exercice de l’interview. Même ses plus fervents adversaires le reconnaissent : le principal opposant guinéen de la décennie est un homme aux manières policées.
Originaire de la région du Fouta-Djalon, dans le centre de la Guinée, il étudie la comptabilité et la gestion à Conakry, puis se perfectionne en France où Bah Oury, fondateur de son parti l’UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée), le remarque : « Cellou faisait partie des jeunes cadres brillants et chouchoutés par le régime. »
Il gravit les échelons jusqu’au poste de directeur général des affaires économiques et monétaires à l’actuelle Banque centrale, avant d’être nommé à l’Administration des grands projets par l’ancien président Lansana Conté. Transports, Télécommunications, Tourisme, Travaux publics, Environnement, Pêche, Dalein est le ministre à la plus grande longévité sous la Seconde République. Il accède à la primature en 2004, précédé par sa réputation de technocrate méticuleux.
Libéral convaincu à l’heure des plans d’ajustement structurel, ses opposants l’accusent d’avoir participé à la faillite de l’opérateur national de téléphonie Sotelgui et de la compagnie Air Guinée, à la vente du chemin de fer ainsi qu’au douloureux déguerpissement du quartier de Kaporo Rails, dans la banlieue de la capitale Conakry. « Ils n’ont jusqu’à présent présenté aucune preuve », répond l’intéressé.
En réponse, ses partisans déclinent la liste des routes et ponts édifiés ainsi que les mesures d’assainissement économique et la reprise des relations avec les bailleurs de fonds. Relations interrompues suite au coup d’État militaire de 1984 qui porta Lansana Conté à la tête du pays, à la mort du père de l’indépendance Sékou Touré.
« La première chose que je lui ai dite ? Je veux m’engager en politique, mais je ne vous fais pas confiance, car je vous tiens responsable de ce bilan », se souvient Souleymane Thianguel Bah, qui deviendra son conseiller en communication.
En 2001, il défend la réforme constitutionnelle qui permettra au général Lansana Conté de se maintenir au pouvoir. Lorsqu’en 2019 Cellou Dalein Diallo rejoint le Front national de défense de la Constitution pour tenter d’empêcher Alpha Condé de briguer un troisième mandat, ses adversaires s’en donnent à coeur joie. « Le référendum de 2001 était justifié, parce que Lansana Conté était un bon président », affirme-t-il sur France 24 avant de se reprendre quelques jours plus tard sur l’antenne de TV5 Monde : « Conté avait modifié la Constitution. La suite, tout le monde la connaît. Il y a eu des violences, des morts ».
« Fabriqué par les circonstances »
Avant d’être démis de ses fonctions en 2006 par un président Conté malade et affaibli, Cellou Dalein Diallo représente la Guinée dans les sommets, rencontre les chefs d’État, les institutions internationales et se tisse un solide réseau de personnalités influentes. Un argument déterminant lorsque le doyen Bah Mamadou le choisit en 2007 comme président de l’UFDG, jusque-là dirigée par Bah Oury, perçu comme plus radical. « Il avait l’avantage de connaître l’administration par coeur et nous pensions qu’il pourrait être le trait d’union dont nous avions besoin pour élargir l’assise du parti », reconnaît ce dernier. Le technocrate devient politicien, futur candidat à l’élection présidentielle, « fabriqué par les circonstances », analyse Souleymane Diallo, rédacteur en chef du journal satirique Le Lynx.
« Je suis confiant, je sais qu’il n’y a aucun risque pour moi de perdre ce second tour »,déclare Cellou Dalein Diallo, le 2 septembre 2010. Il vient effectivement d’arriver en tête de l’élection présidentielle avec 43,69 % des voix. Contre toute attente, il s’incline toutefois deux mois plus tard face à l’opposant historique Alpha Condé, qui obtient plus de 52% des voix, après un entre-deux-tours particulièrement chaotique. « Les incendies, les vols de machines, tous ces signaux auraient alerté même quelqu’un de peu vigilant ! », tempête Bah Oury. Cellou Dalein Diallo reconnaît sa défaite et accepte les résultats. Pour éviter un « nouveau bain de sang », explique-t-il.
L’image du leader de l’UFDG « candidat de sa communauté » a-t-elle joué contre lui ? Sur les affiches de campagne, il apparaît alors en famille, arborant le couvre-chef traditionnel peul. « Une étiquette qui lui colle à la peau », concèdent ses collaborateurs, mais « fabriquée de toutes pièces », selon Thianguel. « Son gouvernement était le plus équilibré du point de vue ethnique et il a plus fait pour la Haute-Guinée que pour sa région natale ».
Cellou s’installe dans le fauteuil du chef de l’opposition au terme des législatives de 2013. Les années suivantes sont ponctuées d’innombrables manifestations, en marge desquelles plus de 200 personnes, principalement des adolescents, auraient perdu la vie, selon le décompte de son parti. « Martyrs de la démocratie » pour l’UFDG, des « délinquants manipulés » pour le pouvoir qui dénonce une « stratégie de la tension » visant à « décourager les investisseurs ». « Il n’est pas assez cynique pour cela, répond Thianguel. Je l’ai déjà vu perdre ses moyens à la vue d’une blessure ouverte que portait à la jambe un jeune blessé. Il privilégiera toujours la négociation à l’affrontement ».
Jusqu’à quel point ? Critiqué pour sa « mollesse », sa « naïveté » par l’aile dure de son parti qui digère mal les compromissions, Cellou Dalein Diallo se targue de n’avoir jamais refusé le dialogue. Pour la présidentielle de 2015, il conclut un accord avec l’ancien chef de la junte, Moussa Dadis Camara. Une alliance avec le diable, alors que nombre de ses militants ont perdu la vie et que lui-même a été blessé lors du massacre du 28 septembre 2009.
« Alpha est meilleur politicien que moi »
2013, 2016, 2018… Au terme de crises politiques à répétition, Cellou Dalein Diallo signe des accords avec le pouvoir, dont le contenu tient du « contorsionnisme » légal et ne sera que partiellement respecté. « Il donne l’impression de se faire constamment rouler dans la farine et de retourner chez le boulanger ! », s’exclame un journaliste. « Alpha est meilleur politicien que moi », concède-t-il dans une interview au journal Le Monde, le 3 mars 2019.
S’il perd, acceptera-t-il un nouveau deal avec le pouvoir ? Dans les bureaux du RPG, on mise déjà sur un gouvernement d’union nationale ou une possible dissolution de l’Assemblée nationale après la réélection d’Alpha Condé. « Cellou, c’est l’opposant utile, le meilleur atout d’Alpha », peste un ancien membre de l’UFDG, « c’est à se demander s’il veut vraiment le pouvoir ».
Feint-il la naïveté pour conserver sa position en attendant son heure ? Devant les photographes, Cellou désigne sa montre. « Il est temps » est désormais son slogan. « 2020 ne sera pas 2010, encore moins 2015 », promet-il à ses militants qui viennent de le désigner candidat à l’élection présidentielle contre l’avis du FNDC. « Cellou candidat à la troisième défaite », titre le lendemain le journal satirique le Lynx.
Avait-il le choix ? « En refusant d’aller aux législatives de mars 2020, l’UFDG a perdu ses sièges à l’Assemblée ainsi que la tribune, les salaires et avantages qui vont avec. Son parti risquait d’imploser après cette erreur politique », analyse un diplomate.
« C’est un légaliste qui attend qu’on lui donne le pouvoir. Mais en Guinée, le pouvoir se prend !, juge un observateur. Cellou a fondé trop d’espoirs dans une intervention extérieure, de la communauté internationale ou de l’armée, un deus ex machina qui n’existe pas ».
Derrière son apparence affable, certains dans son parti décrivent une gestion « autoritaire ». « Il porte en lui cette dualité », analyse Thiangel. « Il peut être très doux comme extrêmement cassant. C’est peut-être un faible conquérant du pouvoir, mais il sera un grand président ».
rfi