Thursday, April 25, 2024
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Sanou Mbaye: “L’Afrique bien partie”

Comment se porte l’économie africaine à l’heure où les prix des matières premières ne cessent de baisser? Sanou Mbaye, ancien haut fonctionnaire de la Banque Africaine de Développement, est l’auteur de “L’Afrique au secours de l’Afrique” et de chroniques économiques traduites en plusieurs langues et publiées notamment dans le Monde Diplomatique et Project Syndicate. Il s’agit d’une syndication qui publie des analyses et des commentaires rédigés par des intellectuels et des personnalités politiques ou du monde des affaires. Il répond dans cet entretien aux questions de Mamadou Moussa Ba.

Mamadou M. BA : En décembre 2011 déjà, le magazine britannique, The Economist vantait une « Afrique qui monte » (« Africa rising »). D’autres publications et sites internet ont aussi relevé le potentiel d’un continent plein d’espoir. Mais, avec la chute des prix des matières premières, la baisse des cours du pétrole, les perspectives économiques sont-elles toujours tout aussi alléchantes ?

Sanou Mbaye : Oui. Le continent africain a le deuxième taux de croissance le plus élevé du monde après l’Asie. Les fondamentaux sur lesquels se base l’expansion de l’Afrique sont toujours là, ils sont bâtis pour 50 ans. Il y a eu 20 à 30 ans d’ajustement structurels, maintenant les finances publiques sont saines, l’endettement a diminué, les réserves ont augmenté, les déficits budgétaires sont ramenés à des taux raisonnables.

Il y a une classe moyenne qui se développe, et puis la diversification des investissements. Avant on avait droit à un Fond Monétaire International, à la Banque Mondiale et aux accords bilatéraux. Les pays africains n’avaient pas accès aux capitaux mondiaux et aux bourses pour emprunter sur le plan international. C’est fini. Beaucoup de pays ont maintenant des notes financières, un rating, souvent même supérieur à ceux de pays industrialisés comme la Turquie ou l’Argentine ! Ça leur ouvre le marché financier.

Mamadou M. Ba : Depuis les indépendances, la plupart des pays de l’Afrique sub-saharienne ont misé sur leurs ressources naturelles, dont le prix est aujourd’hui faible. Faut-il changer de stratégie ?

Sanou Mbaye : Justement, le modèle de développement a changé. Ce n’est plus seulement l’agriculture. Avant, 90% de nos recettes venaient de nos produits agricoles, mais les pays s’industrialisent. Et c’est le secteur tertiaire, les finances, la banque, le commerce, le tourisme, qui tire ces investissements. D’habitude il y a le secteur agricole, puis on passe au secteur industriel en transformant les produits agricoles, puis on développe le secteur tertiaire, les finances, les assurances, etc. Mais ici, le secteur tertiaire s’est tellement développé que c’est lui qui pousse l’industrialisation.
Les cours du pétrole baissent, mais c’est pour des raisons géopolitiques, pour frapper l’économie russe ou punir l’Arabie Saoudite avec sa guerre au Yémen. La chute du pétrole a affecté le Mozambique, elle cause des déficits budgétaires au Nigéria, mais ce pays a payé toutes ses dettes avec le pétrole, elles sont aujourd’hui très faibles, 13% du PIB. Il ne faut pas se focaliser, c’est purement cyclique. L’Amérique étant auto-suffisante en énergie, toute la géopolitique mondiale a changé, c’est en Afrique et en Asie Pacifique que tout se passe maintenant.

Mamadou M. BA : Les téléphones portables, très utilisés sur le continent, favorisent l’innovation financière et l’accès aux services bancaires. Peuvent-ils réussir là où les banques ont montré leurs limites ?

Sanou Mbaye : Absolument. Avant le taux de bancarisation était très faible, très peu de personnes avaient des téléphones fixes. L’économie était très basée sur les échanges d’espèce. Maintenant avec l’explosion des téléphones mobiles, de l’Internet, les flux financiers ont atteint un niveau exponentiel. Les nouvelles technologies ont fait tout exploser, les comptes bancaires ne sont plus nécessaires. Quand on parle par exemple du nombre d’abonnés au service mobile en Afrique, le nombre est plus élevé que la population des Etats-Unis. Ça donne des possibilités de transferts d’argent qui sont extraordinaire.

Mamadou M. BA : Les échanges commerciaux intra-africains de biens et services sont ralentis par de lourdes taxes douanières. Est-ce que ça ne ralentit pas aussi le développement de l’Afrique ?

Sanou Mbaye : C’est vrai. En Europe les échanges intra-communautaires c’est 60%, en Asie aussi, en Amérique Latine 55%, mais en Afrique c’est 10 ou 12%. Il faut absolument que ça change. Mais il faut voir que l’Afrique est immense, énorme. La Communauté des Etats de l’Afrique de l‘Est, Kenya, Ouganda, Burundi, etc est arrivée à un marché de libre-échange. En Afrique australe, c’est l’Afrique du Sud qui est, hors pétrole et gaz, le plus gros investisseur, et non la Chine. Le gros problème est en Afrique de l’Ouest. Quand des pays dégagent des taux de croissance, ils ne profitent pas à la population. Les devises ne rentrent pas, elles vont directement aux fournisseurs qui gagnent les marchés. C’est un facteur de déstabilisation.

Mamadou M. BA : La corruption constitue aussi un vrai problème. Quelle est la meilleure approche pour combattre ce phénomène qui entrave le développement de nos économies ?

Sanou Mbaye : La corruption est une institution mondiale, qui commence par les paradis fiscaux. Ceux qui sont censés la combattre en sont les premiers bénéficiaires. L’Angleterre est quasiment un paradis fiscal. Les Etats-Unis ont deux ou trois états qui sont des paradis fiscaux, ce qui participe de la corruption. Le lobbying, ce sont des milliardaires qui parient sur un candidat, et celui qui gagne doit leur faire des exonérations financières. En Afrique, les investisseurs viennent et disent : “on investit à condition que vous nous fassiez des exonérations”. Ils ne payent rien alors que le pauvre travailleur sénégalais, un tiers de son salaire part en impôts.

La corruption est mauvaise, elle fait augmenter les prix et érode la confiance. Il faut la combattre. La lutte passe par l’éducation à l’école, au sein de la famille, dans les médias. Mais en Afrique nous en sommes à la “petite” corruption, celle des gens qui veulent améliorer leur salaire. Comparée à la corruption mondiale, c’est epsilon.

Mamadou M. BA : Il y a ceux qui pensent que l’Afrique possède la plus grande des richesses : sa population à la fois jeune et nombreuse. 60% des Africains ont moins de 30 ans. L’Afrique peut-elle miser sur sa jeunesse si elle n’est pas très bien formée ? Si la culture entrepreneuriale n’est pas forte ?

Sanou Mbaye : 90% des emplois qui sont payés en Afrique le sont par le circuit informel, c’est-à-dire les PME ou les entreprises dites familiale en Europe, qui se sont modernisées et sont ensuite devenues des multinationales. On ne peut donc pas dire qu’il n’y a pas de culture entrepreneuriale en Afrique, il y avait juste un manque d’investissements, c’est différent.

De plus, avec l’explosion de la population, on a l’urbanisation, qui est un facteur développement extraordinaire, avec la création d’universités, de routes, d’hôpitaux. C’est un bien, même si cette population, il faut l’éduquer. Avant les formations étaient assurées par des programmes d’ajustement structurels, mais le privé a pris le relais, on a des universités de médecine, de management privées, qui sont extrêmement performantes.

Les perspectives sont bonnes, l’essentiel maintenant est de dire : c’est bien beau de créer de la richesse, mais à qui appartient-elle ? Il faut une répartition équitable, et l’Afrique fera comme la Chine, le Brésil, la Malaisie. Il faut que ce développement nous appartienne.

Mamadou M. BA : Certains pays du continent, RDC, Soudan, Mali, sont en proie à une forte instabilité. Peut-on se développer au regard de ces réalités et mettre en place une politique sécuritaire globale et durable?

Sanou Mbaye : L’Afrique des années 60, avec des militaires, des coups d’état partout, des dictateurs qui ne rendaient de compte à personne, c’est fini. La société civile s’est développée. Les passations de pouvoir se font de plus en plus dans la légalité. Toutes les guerres se sont éteintes. Le phénomène terroriste prend son terreau dans la pauvreté, dans laquelle on peut manipuler. Mais si les Islamistes ont été défaits en Afrique de l’Est -sauf en Somalie-, c’est grâce aux forces de l’Union africaine. Evidemment on manque d’équipement, mais ces unités sont de plus en plus formées et pourront faire face. Les mouvements terroristes ne peuvent pas prendre le pouvoir, ils ont juste des capacités de nuisance, mais on peut les combattre, la preuve au Nigéria.

Mamadou M. BA : Il y a aussi d’autres défis auxquels reste confrontée l’Afrique en matière de crime transnational organisé, notamment la piraterie et le trafic de drogues. La valeur marchande de la cocaïne qui transite, chaque année, par l’Afrique de l’Ouest, est estimée à 1,25 milliard de dollars, soulignant ainsi l’ampleur de ce fléau. Quelles sont les menaces posées par le trafic de drogue sur le continent?

Sanou Mbaye : Le trafic de drogue est un vrai problème. Tout le monde sait que la Guinée-Bissau est un pays quasiment narcotique. Il y a passage et il y a de la drogue qui reste. Il faut une prise de conscience, des mesures nécessaires, un renfort des douanes. La drogue est une monnaie pourrie, dangereuse pour la santé comme pour l’économie. Il faut agir pour prévenir un combat sans fin et très coûteux comme en Colombie, ou des guerres sans fin comme au Mexique. Au Sénégal c’est facile de s’approvisionner, c’est dangereux.

Mamadou M. BA : En tant qu’ancien expert de la BAD, quel rôle selon vous la banque peut-elle jouer pour accompagner le décollage économique du continent ?

Sanou Mbaye : Chaque région a sa banque. Mais nous, nos modes de fonctionnement ne diffèrent en rien de la Banque Mondiale. J’aurais aimé, comme la Banque asiatique de développement l’a fait, qu’on ait une empreinte digitale propre. La banque a un triple A, elle peut emprunter à des taux bas. Elle pourrait se singulariser beaucoup plus, se focaliser sur l’éducation de ce milliard de jeunes, ou bien la sécurité alimentaire, ou le commerce intra-communautaire. Et les nouvelles que je reçois sont bonnes, le nouveau président de la BAD a l’intention de se focaliser, de se spécialiser de cette façon.

Mamadou M. BA : Vous êtes connu pour être favorable aux bourses. En quoi pourraient-elles aider davantage à la mobilisation du capital ?

Sanou Mbaye : Les transferts des migrants est la deuxième source de financement après les investissements directs étrangers, mais ils aident à financer l’éducation et la construction, et pas trop les investissements productifs. Prenez l’Ethiopie, qui a voulu construire un barrage pour son autosuffisance énergétique et permettre au Soudan d’irriguer des centaines de milliers d’hectares. La Banque Mondiale a refusé tant qu’elle n’avait pas l’accord de l’Egypte. Le Soudan a contacté les pays voisins, ils ont eu une bourse, et ils ont demandé aux Ethiopiens de financer le projet à hauteur de plus de 3 milliards de dollars.

Nous on continue d’emprunter à des banques commerciales à des taux usuraires. Si on veut construire tel chemin de fer entre Dakar et le Niger, on dit voici les projets, voici les taux de rentabilité qu’on espère, on émet des obligations, achetez-les. Vous êtes en Angleterre, vous avez confiance en votre pays, vous achetez.

Les sociétés informelles ici doivent se regrouper en sociétés familiales, se faire noter, avoir un rating qui leur permette d’emprunter à des taux très bas au niveau des bourses, et d’apporter de l’épargne, comme pour ce barrage éthiopien, au lieu d’aller chercher des prêts internationaux. Et on ne peut pas le faire sans bourse et sans discipliner les apports des migrants et les autofinancements.

bbc

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