Le 10 décembre, un post sur le réseau social a suscité de nombreux messages haineux à l’encontre de la mannequin Christelle Yambayisa, visée parce qu’elle est noire. Elle dénonce l’inaction de l’entreprise de Mark Zuckerberg.
L’image montre une femme noire, de trois quarts, face à un miroir. Les yeux plissés, un sourire éclatant aux lèvres, la main appliquée sur son visage. Au-dessus d’elle, en lettres d’or, on peut lire : «Le temps des fêtes, par Monoprix.» Christelle Yambayisa, 32 ans, prend la pose pour une publicité partagée le 10 décembre sur Facebook.
Depuis 2016, on a l’habitude d’apercevoir la jeune femme sur les podiums des défilés ou sur le papier glacé des affiches d’abribus, tantôt repérée dans les pages de Marie Claire ou encore dans un spot pour Giorgio Armani. Cette fois-ci, la jeune Française née au Rwanda, qu’elle a fui à cause de la guerre, est l’égérie du jour d’une campagne de promotion pour le rayon parapharmacie de l’enseigne de distribution.
Las, c’est un assaut de racisme qu’elle subit, en retour de la publication du 10 décembre. Les quelques opinions positives sont rares, balayées par un flot de commentaires nauséabonds. Florilège : «Le grand remplacement est partout», «Y en a marre de voir des Africains sur chaque affiche publicitaire française», «Pour les Blancs, ça marche aussi ou c’est juste pour les noirs ?» Durant tout le week-end, des dizaines de messages du même genre s’enchaînent et polluent le post sponsorisé.
Incohérences des stratégies de modération
Jointe ce jeudi par Libération, Christelle Yambayisa affirme que «ce n’est pas la première fois» : «Je fais partie d’une génération où le racisme est quelque chose qui existe. J’ai des amis arabes, musulmans, victimes d’islamophobie. J’ai des amis qui sont gays et qui subissent également du harcèlement.» Représentée par l’agence Premium Models, elle est depuis une semaine contactée par des associations comme SOS Racisme, qui lui proposent l’aide de leurs services juridiques si elle souhaitait porter plainte. Elle refuse pour l’instant. «J’estime qu’il y a de gens bien plus impliqués qui se battent déjà et des lois qui nous protègent. Je me suis dit que Monoprix allait signaler ces commentaires, que mes amis et d’autres gens sur les réseaux le feraient aussi…» Après le week-end, le community manager de l’enseigne de distribution se fend d’un message en commentaire, pour condamner des propos «scandaleux». Et d’expliquer : «Plutôt que d’effacer ces commentaires honteux, nous avons fait le choix de leur opposer notre rejet total. Notre entreprise est engagée de longue date dans la lutte contre toutes les formes de discriminations.»
Hors de question de faire dans la victimisation, précise Christelle Yambayisa. «Il s’agit de dénoncer quelque chose de bien plus global. Les Gafam [Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft, ndlr] contrôlent le monde numérique. Adopter ce comportement raciste dans la rue est un délit. Le cyberharcèlement l’est aussi et ce réseau social se doit d’agir contre de tels agissements.» En écho, sur sa story Instagram, Christelle Yambayisa a publié un texte, accompagné d’une vidéo où elle interpelle le géant d’Internet qui a herbergé la publication de Monoprix. «Avant de lutter contre le cyberharcèlement en général, il faut que Facebook nous dise comment leurs technologies sont capables de nous tracker sur tout, sauf sur ce qui relève des propos injurieux et le harcèlement en tout genre.» En une minute face caméra, la jeune femme pointe les incohérences des stratégies de modération opérées par le réseau social, plus enclin à pister nos lubies du moment plutôt que de faire la chasse au racisme. Et pose une question simple : «Comment avec votre impact, votre place dans la société vos équipes arrivent à concevoir une intelligence artificielle capable de détecter n’importe quel mot ou groupe de mots associés à la situation sanitaire, mais sont incapables depuis des années de modérer ou supprimer du contenu et des commentaires racistes, misogynes, homophobes, antisémites, d’injures et de harcèlement ?»
Après deux jours de publication, son adresse à Facebook a atteint près de 170 000 vues. Elle est notamment partagée par la romancière Tristane Banon, qui lui apporte son soutien : «Christelle est parfois l’image de Monoprix, parfois celle de Zadig et Voltaire, parfois celle de plein d’autres marques qui sont aussi les miennes, les vôtres peut-être. Hier, des femmes et des hommes, cachés derrière des écrans, ont craché des insultes d’une xénophobie que seules leur très grande connerie et l’inconsistance de leur conscience peuvent permettre. […] Des femmes et des hommes ont fait honte à la France au nom de la France. Ils en sont pourtant bien indignes.»
Campagne de boycott de Facebook
Contactée par Libération, la direction de Monoprix affirme qu’il était «inimaginable […] de ne pas dénoncer publiquement les propos scandaleux faisant suite à l’une de nos publications relatives aux fêtes de fin d’année. L’existence même de ce type de commentaires nous conduit à poursuivre plus que jamais et avec détermination nos engagements et actions en matière de lutte contre les discriminations.» La direction rappelle que l’enseigne est engagée de longue date dans la lutte contre toutes les formes de discrimination et en veut pour preuve le renouvellement en 2019 par l’Afnor de ses labels «Diversité» et «Egalité professionnelle». «Supprimer ces publications scandaleuses, c’est faire comme ci celles-ci n’avaient jamais existé, précise un porte parole de la direction générale. Il faut pourtant regarder en face la bêtise et le racisme que l’on observe trop souvent sur les réseaux sociaux.»
Il aura fallu cinq jours pour que les modérateurs de Facebook se mettent à la tâche, et suppriment les commentaires haineux. Avec parcimonie. Certains sont aujourd’hui toujours présents. Pourtant, le 26 juin, à quelques mois de la campagne présidentielle américaine, le réseau social avait annoncé son intention de retirer les publicités qui affirment que les personnes de certaines origines, ethnies, nationalités, genre ou orientation sexuelle représentent une menace pour la sécurité ou santé des autres. Et d’ajouter des avertissements aux publications problématiques laissées en ligne.
La décision, qui tranche avec la ligne de défense autour de la liberté d’expression et l’approche plus souple que ses concurrents Twitter et Facebook, n’est pas arrivée par hasard. Elle est survenue après le boycott de plusieurs annonceurs, géants de l’agroalimentaire et des cosmétiques en tête. Après Unilever, Honda ou encore Patagonia, Coca Cola avait rejoint le cortège en exigeant du réseau social plus de «transparence et de responsabilité» sur la question du racisme. A l’initiative de cette campagne américaine de boycott, des organisations telles que l’Association nationale pour l’avancement des personnes de couleur (NAACP) accusent toujours l’entreprise de Mark Zuckerberg de tolérer des groupes qui incitent à la haine, au racisme et à la violence. «Aujourd’hui, nous demandons à toutes les entreprises solidaires avec les valeurs américaines de liberté, d’égalité et de justice de ne pas faire de pub sur les services de Facebook en juillet», détaillait l’appel diffusé en juin sur les réseaux sociaux et dans la presse. «Envoyons un message puissant à Facebook : vos profits ne valent pas que l’on promeuve la haine, l’intolérance, le racisme, l’antisémitisme et la violence.»
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