Depuis décembre 2018, la rue de Paradis, dans le Xe arrondissement de Paris, expérimente le « zéro déchet ». Pas si simple.
À première vue, c’est une rue parisienne ordinaire. Un brin bobo peut-être, avec ses brasseries à la déco léchée, ses magasins bio et ses commerces branchés. En y regardant de plus près, quelques détails intriguent. Comme ce drôle de cendrier surmonté d’un panonceau « Plutôt Star Trek ou Star Wars », qui invite à voter avec son mégot, plutôt que de le jeter par terre. Ou ces macarons collés aux vitrines de restaurants pour inciter les clients à venir avec leurs propres gamelles à emporter. Sur le panneau d’information de l’école maternelle, une affichette datant du mois d’avril donne rendez-vous à une réunion d’initiation au « zéro déchet ». Car la rue de Paradis est en réalité un laboratoire à ciel ouvert, dont l’objet d’étude est la réduction des déchets.
Le lieu n’a pas été choisi au hasard. Il fallait un espace « maîtrisable » et représentatif d’une ville, abritant à la fois des commerces et des bureaux, des logements privés et sociaux. La rue remplit tous les critères. Lancée en décembre dernier dans le cadre du plan climat de la Ville de Paris, l’expérimentation doit se prolonger jusqu’à la fin de l’année, avant d’être éventuellement élargie à l’ensemble de la capitale. Car la gestion des déchets est l’un des principaux défis de la municipalité. En 70 ans, le poids des poubelles parisiennes a doublé, atteignant 485 kilos par an et par habitant, indique-t-elle sur son site internet. « Soixante-dix pour cent des déchets sont incinérés. On doit faire baisser cette proportion », martèle Alexandra Cordebard, maire du Xe arrondissement. Cela passe notamment par une consommation raisonnée et un meilleur tri des ordures.
Une baisse des déchets conséquente
Epaulée par l’association Zero Waste, la mairie ne lésine pas sur les moyens pour parvenir à ses fins. Ateliers d’initiation pour fabriquer ses propres cosmétiques ou donner une seconde vie à ses objets, pique-nique « zéro déchet », visites de centres de tri… Tout est bon pour sensibiliser les résidants. Les commerçants sont eux aussi mis à contribution. « On nettoie le trottoir, on donne les restes aux associations, on a supprimé les verres en plastique », énumère Lyes Boudjema derrière le comptoir du bar Les Copains. « C’est une bonne chose pour la rue, ça donne de la visibilité. Et puis c’est un beau geste pour l’écologie. » Aux dires de la mairie, l’initiative porte ses fruits. Entre décembre et avril, le poids des déchets collectés dans les bacs verts, ceux des ordures ménagères, aurait baissé de 40 tonnes.
Dans ce quartier privilégié, nombreux sont les commerçants à être déjà sensibilisés à la lutte contre la prolifération des déchets. Aurélie, patronne du salon de coiffure Kapili, utilise des flacons en plastique « recyclé et recyclable » et travaille avec une association qui recycle les cheveux. Plus loin, le restaurant-caviste Le Bel Ordinaire adapte ses menus selon l’affluence et cuisine les restes pour écouler ses stocks. « On fait un peu comme une grand-mère dans sa cuisine », note Cédric Sarret, son manager. Dans la crêperie d’en-face, Antonin Simonnet, lui, est un jusqu’au boutiste. Il utilise les serviettes en papier usagées pour faire son ménage, et donne les plus sales à une voisine qui s’en sert pour ramasser les crottes de son chien. « A la fin de la semaine, je n’ai que ça de déchets », se félicite-t-il en mimant un sac de la taille d’un ballon de handball.
A l’école maternelle Paradis, les débuts ont été plutôt hésitants. Lors de la réunion d’avril, ils n’étaient même pas dix parents à faire le déplacement. La directrice s’est sentie quelque peu gênée vis-à-vis des associations qu’elle avait invitées. Surtout que ceux qui étaient venus étaient déjà des convaincus. « Le quartier est privilégié, mais la population qui fréquente cet établissement est mixte. Et pour certains, la lutte contre les déchets n’est pas une priorité », explique Marie Grèze. Alors l’école pratique la pédagogie par l’exemple. A la cantine, une table de tri a été installée et les portions sont calibrées afin d’éviter le gaspillage. Pour la fête des parents, les institutrices ont davantage misé sur le bois et le papier. Et pour celle de fin d’année, bouteilles, gobelets et couverts en plastique seront bannis du buffet. « Il y a encore des progrès à faire concernant le matériel », constate cependant la directrice, en ouvrant au hasard l’un des cartons de fournitures scolaires empilés devant son bureau. A l’intérieur, des centaines de films plastiques dont elle se sert pour protéger le moindre document.
Un plastique bien encombrant
Ici comme ailleurs, les riverains ont bien du mal à se débarrasser de ce plastique encombrant. Pratique et peu coûteux, il reste omniprésent. Même les commerces bio peinent à s’en défaire. Dans son magasin d’alimentation, Jean-Paul Juquin a renoncé à l’eau en bouteille et demande à ses fournisseurs de réduire au maximum leurs emballages. Il propose des pailles en carton et des couverts en bois pour les plats à emporter. Mais les cuillères, elles, sont toujours en plastique parce que celles en bois laissent un goût désagréable. « On les remplacerait bien par des cuillères en plastique végétal, mais elles coûtent vingt fois plus cher », justifie-t-il, l’air désolé.
À l’autre bout de la rue, Cécile Laforest peste contre la politique de la chaîne de restaurants pour laquelle elle travaille. « Tout ce qui est en contact avec le client est recyclable. Nous proposons des récipients à emporter en papier, des pailles biodégradables. Mais les plats nous sont livrés dans des emballages plastiques », fulmine-t-elle entre deux bouchées de riz. Elle aimerait faire payer les sacs et les couverts, pour obliger les clients à apporter les leurs. « On a tout chez soi, mais on est habitué à voyager léger, avec tout dans son smartphone. » La maire du Xe arrondissement partage le même constat : « Si une ou deux personne sur dix utilisait le système des gamelles, cela aurait un impact énorme sur la consommation plastique ! »
Changer les mentalités est un travail de longue haleine. A l’extérieur du supermarché voisin, une caisse avait été installée pour que les riverains viennent y déposer leurs paquets de biscuits et de céréales entamés, ou leurs produits périmés. Rapidement transformée en poubelle, elle n’est restée en place qu’un mois.
Rfi