Cela fait deux ans, ce dimanche 30 juillet 2017, qu’Ahmed Abba est en prison au Cameroun. Aujourd’hui, le correspondant de RFI en haoussa attend son procès en appel. En première instance, il a été condamné par un tribunal militaire à dix ans de prison pour non-dénonciation et blanchiment du produit d’un acte terroriste. Condamné alors qu’il n’a fait que son travail de journaliste.
Cela fait deux ans qu’Ahmed Abba est en prison pour rien. Et pourtant, il affiche toujours le même sourire discret lorsqu’on lui rend visite. Le journaliste veut croire que son procès en appel permettra enfin de l’innocenter. Il a déjà été acquitté du crime d’apologie du terrorisme, une charge qui aurait pu lui valoir la peine de mort. Restent maintenant celles de non-dénonciation et de blanchiment du produit d’un acte terroriste. L’objet en question : un téléphone qui aurait appartenu à une victime de Boko Haram, mais qui ne figure pas au dossier.
Les preuves accablantes dont parle le gouvernement camerounais depuis le début de l’affaire n’ont jamais été rendues publiques. Les témoins qui devaient attester de la culpabilité du journaliste, le procureur a finalement renoncé à les présenter au tribunal. Il a ensuite parlé de transcriptions d’enregistrements retrouvés dans l’ordinateur d’Ahmed Abba. Des conversations qui ne contiennent aucune trace de complicité avec Boko Haram.
Pour RSF, cette condamnation est un « scandale »
Sa condamnation est un scandale, pour Reporters sans Frontières. « Une décision éminemment politique pour effrayer les journalistes qui souhaiteraient couvrir la question de la sécurité dans le nord du Cameroun », estime l’association.
Et son directeur, Christophe Deloire évoque une « affaire montée de toutes pièces » : « En tous les cas sans aucun élément probant. Ce qui est probant, c’est que simplement Ahmed Abba a fait son travail. C’est une affaire dans laquelle le parquet, le ministère public, a eu un comportement on ne peut plus étrange. Une peine de mort avait été réclamée dans un premier temps par un procureur qui avait aussitôt quitté la salle sans même démontrer la culpabilité, ou tenter de la démontrer, en invoquant le fait qu’il était malade. Une affaire comme celle-là, c’est la démonstration de la part du Cameroun non pas de lutter contre un mouvement terroriste, de manière très légitime, mais de lutter contre les journalistes pour les empêcher de faire leur travail. Et le travail des journalistes, c’est aussi un travail qui permet à des pays de lutter contre le terrorisme. Parce qu’il faut que les sociétés soient transparentes elles-mêmes pour que les autorités puissent lutter contre ceux qui commettent des attentats ».
Le journaliste Xavier Messé, directeur de publication de l’Anecdote, estime que la loi en vertu de laquelle Ahmed Abba a été condamné, la loi antiterroriste de 2014, pèse sur tous les journalistes au Cameroun : « Cette loi est arrivée et a neutralisé la mobilisation des journalistes. Ce qui fait que chaque journaliste, même en écrivant une ligne dans son organe de presse, écrivait avec la trouille au dos. Pour un rien, on pouvait vous arrêter parce que vous soutenez quelqu’un qui est accusé d’acte de terrorisme. Cette loi, qui est comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête de tous les journalistes camerounais, a fait qu’il n’y a pas eu du coup une grande mobilisation. Ahmed Abba n’est pas un terroriste, c’est un journaliste qui faisait son travail normalement. Mais peut-être que l’on peut accuser beaucoup de journalistes de ne pas révéler leurs sources d’information. Personne ne le fait ou du moins, les vrais journalistes ne le font pas ».
Ahmed Abba, une procédure sans fin
Le 30 juillet 2015, Ahmed Abba a été arrêté à Maroua, à la sortie d’une rencontre avec les autorités locales. Deux semaines plus tard, le 16 août, il disparaît après son transfert à Yaoundé. Le journaliste est torturé par les services de renseignement. Il faudra attendre quatre mois pour qu’Ahmed Abba puisse voir son avocat. Puis attendre encore, jusqu’en février 2016 pour que le procès commence, sans qu’il y ait eu de véritables instructions.
Tout au long de ce procès, pas de témoin, pas de preuves, mais début avril, un réquisitoire éclair et brutal : le procureur demande la peine de mort.
En présentant des copies de son travail pour RFI, les avocats d’Ahmed Abba parviennent à faire tomber l’accusation d’apologie du terrorisme, et à écarter la peine la plus lourde. Mais trois semaines plus tard, le journaliste est quand même condamné. Dix ans de prison pour blanchiment du produit d’un acte terroriste. En cause, un téléphone, selon le chef du parquet militaire. Ce téléphone dont on ne trouve aucune trace dans le dossier.
Selon ses avocats, le dossier d’Ahmed Abba se trouve désormais à la Cour d’appel. Ces derniers n’attendent plus que la date de la première audience qu’ils espèrent « imminente ». Me Nakong, l’un de ces avocats, se dit confiant sur l’issue de la procédure en appel, et estime qu’elle devrait aboutir à la libération d’Ahmed Abba.
« Déjà devant le premier juge, nous avons pu démontrer que le dossier était vide. Mais seulement nous avons noté qu’il n’avait pas tiré les conséquences de certaines constatations. Là, nous serons en Cour d’appel, devant des juges plus expérimentés. Avec l’expérience qui est la leur, ils apprécieront le dossier avec la froideur qu’il faut et certainement rendront la décision qui convient à cette procédure en déclarant notre client non-coupable.
Dans la décision qui a été rendue, le produit d’acte de terrorisme en question, c’est un téléphone qui appartiendrait à un terroriste et au cours des débats, ce téléphone n’a pas fait l’objet des effets à expertiser. Il n’a pas été question de ce téléphone au cours des débats.
Et sur la deuxième fraction, la non-dénonciation, nous avons indiqué que, d’une part, notre client Ahmed Abba n’avait fait que son travail et d’autre part, il était même allé au-delà en apportant à chaque fois aux autorités toutes les informations qui parvenaient à sa connaissance et de nature suspecte. Donc c’est la raison pour laquelle, nous pensons que le juge d’appel va déclarer notre client non coupable et annuler la première décision. »