Equipes de campagne braquées, candidats agressés, désertion de fonctionnaires…: la tension monte en Centrafrique à neuf jours des élections présidentielle et législatives. Les incidents, qui se multiplient dans les territoires occupés par les groupes armés, ne menacent cependant pas la tenue du premier tour, estiment les experts.
Depuis quelques jours, l’inquiétude, voire la panique, s’est emparée de l’ouest et du nord très peu peuplés. A Bossangoa, à quelque 300 km au nord-ouest de Bangui, “la psychose a poussé les fonctionnaires à partir pour la capitale”, assurait cette semaine Barthélémy Wilkon, le préfet local.
Après près de huit années d’une guerre civile qui perdure, plus des deux-tiers de la Centrafrique, deuxième pays le plus pauvre de la planète selon l’ONU, sont sous la coupe des groupes armés.
Aujourd’hui, hors Bangui sécurisée et ses environs, peu de candidats s’aventurent en campagne, parmi les 17 prétendants à la magistrature suprême – y compris le grand favori, le président sortant Faustin Archange Touadéra.
Plusieurs candidats du parti au pouvoir, le MCU, ont été victimes d’agression par des hommes armés, et d’autres ont vu leurs véhicules confisqués, selon des sources judiciaires.
Le pays a été ravagé par les combats après qu’une coalition de groupes armés à dominante musulmane, la Séléka, a renversé le président François Bozizé en 2013. Les affrontements entre Séléka et milices anti-balaka, majoritairement chrétiennes et animistes, avaient fait ensuite des milliers de morts.
Même si les violences ont baissé d’intensité depuis 2018, les groupes armés continuent de mener sporadiquement des attaques contre civils et forces de sécurité, pour des motifs aujourd’hui plus criminels que communautaristes.
Le nord-ouest est le bastion de Bozizé, qui apparaissait comme le principal challenger de Touadéra avant que la Cour constitutionnelle n’invalide sa candidature début décembre. Retranché dans son fief de Bossangoa, il est accusé par le gouvernement de recruter des groupes armés pour déstabiliser le pays et perturber les élections.
Bozizé a annoncé son soutien à Anicet-Georges Dologuélé, ancien Premier ministre, désormais le plus sérieux rival de M. Touadéra.
– “Coercition” –
Mercredi, la Mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca), chargée de sécuriser les élections avec ses 11.500 Casques bleus, a intimé aux groupes armés de “cesser immédiatement les attaques contre les candidats, les acteurs humanitaires et la population”, et appelé Bozizé “à œuvrer sincèrement pour un retour véritable de la paix”.
Jeudi, au moins trois des principaux groupes armés ont menacé le gouvernement d’user de “moyens de coercition”, s’il “s’obstine à manipuler l’organisation du scrutin pour faire un hold-up électoral”.
Ces derniers jours, “des incidents impliquant des échanges de tirs” se sont produits à Yaloké, Bozoum et Bossembélé, entre 150 et 200 km au nord-ouest de Bangui, a indiqué à l’AFP Vladimir Monteiro, porte-parole de la Minusca.
“Les rebelles sont là, mais ils nous ont dit qu’ils n’en voulaient pas à la population, juste au gouvernement. On peut circuler librement”, témoigne anonymement un commerçant passé à Yaloké.
– Bozizé “montre les muscles”-
Selon les observateurs, les bandes criminelles qui prolifèrent profitent de la confusion.
“Si la criminalité en Centrafrique avait un auteur, ça se saurait”, commente Thierry Vircoulon, spécialiste de l’Afrique centrale à l’Institut français des relations internationales (Ifri), pour qui “Bozizé montre les muscles, mais ne va pas vraiment passer à l’offensive avant l’élection”.
Ces incidents ne semblent pas menacer la tenue du premier tour le 27 décembre, jugent experts et diplomates. “Historiquement, les candidats, à part le président, n’ont jamais pu faire campagne nationalement. L’essentiel, c’est que les électeurs puissent voter”, assure Thierry Vircoulon.
“Bozizé souffle le chaud et le froid”, estime aussi Hans de Marie Heungoup, chercheur à l’International Crisis Group (ICG), qui ajoute: “Il est conscient de l’intransigeance grandissante du pouvoir à son égard. C’est pourquoi il se constitue une petite armée pour rendre impossible son arrestation, mais aussi venir au secours de Dologuélé dans l’hypothèse où ce dernier se ferait voler la victoire”.
Pour les experts et diplomates interrogés, c’est surtout après l’annonce des résultats, début janvier, que les tensions pourraient sérieusement dégénérer.
Afp