Un soulèvement populaire réprimé dans le sang, une économie paralysée par une grève générale sans précédent, des combats intenses entre l’armée et des factions rebelles: en 100 jours, la Birmanie a plongé dans le chaos.
“C’est une guerre civile (…) L’armée a perdu toute la confiance de la population”, résume l’analyste Khin Zaw Win.
Au matin du 1er février, les généraux birmans renversent le gouvernement élu d’Aung San Suu Kyi, mettant brutalement fin à une parenthèse démocratique de 10 ans.
Mardi marquera les 100 jours de leur putsch, une période où la junte n’a eu de cesse de tisser une toile judiciaire autour de la lauréate du prix Nobel de la paix 1991.
Assignée à résidence dans la capitale Naypyidaw, l’ex-dirigeante de 75 ans a été inculpée à de multiples reprises, sans être autorisée à rencontrer ses avocats. L’un d’eux a annoncé lundi à l’AFP qu’elle comparaîtrait pour la première fois en personne devant le tribunal le 24 mai.
En attendant, elle reste tenue à l’écart des agitations et des violences.
Des villes aux villages les plus reculés, les manifestations restent quasi-quotidiennes, menées par une jeunesse avide de liberté, grande consommatrice de réseaux sociaux et de nouvelles technologies.
Et des milliers de grévistes bloquent encore une grande partie du pays, des banques, hôpitaux, ports et administrations.
– Près de 800 morts –
Face à ce vent de fronde, la junte riposte par les armes.
Au moins 780 civils ont été tués ces trois derniers mois, d’après l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP).
L’armée fait état d’un bilan beaucoup moins lourd, imputant la responsabilité des violences à des “émeutiers” se livrant à des “actes de terrorisme”.
Les arrestations, de jour comme de nuit, se multiplient.
Plus de 3.800 personnes sont détenues pour beaucoup dans des lieux tenus secret, d’après l’AAPP qui déplore des violences envers les femmes, des exécutions extra-judiciaires et des tortures comme dans le cas du poète Khet Thi, arrêté samedi et mort en détention 24 heures plus tard.
“Les gens vivent dans la peur et se sentent désespérés (…) certains pensent au suicide”, confie Soeur Ann Rose Nu Twang.
Cette religieuse est devenue un symbole de la résistance quand, lors d’une manifestation réprimée dans le sang début mars, elle s’est agenouillée devant les militaires, les bras en croix, les suppliant de “ne pas tirer”.
Elle travaille aujourd’hui dans une clinique de l’État Kachin (nord) à soigner les opposants blessés qui “sacrifient leur vie pour leur avenir”.
– “Du bon côté de l’histoire” –
Malgré les violences, la mobilisation se poursuit. “Nous voulons être du bon côté de l’histoire”, assène un contestataire.
Pour maintenir la pression sur la junte tout en évitant au maximum les représailles, des manifestations éclairs, avec des foules moins nombreuses, sont privilégiées, une tactique payante puisque la répression s’est atténuée ces derniers jours.
La résistance s’organise aussi politiquement.
Des milliers d’opposants se sont réfugiés dans des territoires contrôlés par des factions rebelles, dans le nord et l’est du pays, et des députés déchus, entrés en clandestinité, ont formé “un gouvernement d’unité nationale”.
Mais ce dernier peine pour l’instant à exercer une grande influence. Son souhait de mettre en place “une armée fédérale” anti-junte réunissant dissidents et combattants rebelles ne suscite pas l’enthousiasme parmi les multiples factions ethniques.
Beaucoup se méfient de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi, dominée par les Bamars, l’ethnie bouddhiste majoritaire.
Ulcérés par le bain de sang contre des civils, des insurgés ont tout de même repris les armes.
L’Union nationale karen (KNU), forte de plusieurs milliers d’hommes dans l’est du pays, attaque des bases militaires et l’armée riposte par des frappes aériennes, les premières en plus de 20 ans dans cette région. Les affrontements et les raids aériens sont aussi intenses dans l’Etat Kachin.
Des dizaines de milliers de civils ont été déplacés dans ces violences, selon l’ONU.
– Explosion de la pauvreté –
Combien de temps le pays, l’un des plus pauvres d’Asie, va-t-il tenir?
Sous l’effet conjugué de la pandémie et de la crise politique, la moitié de la population pourrait se trouver sous le seuil de pauvreté dès 2022, un retour en arrière de seize ans, a averti le Programme des Nations unies pour le développement.
Et la Banque mondiale table sur une contraction de 10% de l’économie en 2021, après une croissance de près de 7% en 2019.
Le chaos économique et politique n’infléchit pas les généraux, qui font fi des condamnations et des sanctions décrétées par les Etats-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni.
Plus de 200 ONG ont demandé au Conseil de sécurité des Nations unies d’imposer un embargo sur les ventes d’armes, mais la Chine et la Russie, alliées traditionnelles des généraux, s’opposent catégoriquement à une telle hypothèse.
Afp