Il y a huit ans, Noha Elostaz faisait sensation en Egypte, devenant la première femme à faire condamner son agresseur pour harcèlement sexuel. Aujourd’hui, le regard de la société a évolué, les condamnations ont augmenté, et les militants reconnaissent des progrès.
En 2008, faisant le tour des plateaux de télévision pour faire condamner son agresseur, Noha, alors âgée de 26 ans, avait brisé le tabou en Egypte où le harcèlement sexuel est endémique.
Au volant de son véhicule, Sherif Gebreel avait agrippé le sein de la jeune femme qui marchait dans la rue, la traînant après avoir appuyé sur l’accélérateur. Impuissante, Noha ne pouvait que le regarder sourire dans le rétroviseur.
Selon une étude de l’ONU publiée en 2013, plus de 99% des femmes ont été victimes de harcèlement en Egypte, où elles sont quotidiennement confrontées aux remarques obscènes, voire aux attouchements.
Malgré cela, la société et les autorités ont longtemps ignoré le phénomène, préférant faire porter aux victimes la responsabilité de ces “incidents isolés”.
Mais la ténacité de Noha, la peine de trois ans de prison de son agresseur et des années de mobilisation sans relâche sur le terrain ont porté leurs fruits.
“J’entends parler de tellement d’affaires. Des filles qui traînent des hommes à la police, c’est devenu quelque chose de courant”, reconnaît Mme Elostaz. “La situation s’est améliorée. Je le vois dans la rue”.
– Débat public –
Le débat public s’est intensifié après la révolte de 2011 qui chassa Hosni Moubarak du pouvoir. “Bien sûr, il y a des progrès”, confirme Mozn Hassan, directrice éxécutive de Nazra for Feminist studies.
Depuis l’adoption en juin 2014 d’une nouvelle loi criminalisant le harcèlement sexuel, l’ONG féministe a remporté plus de 50 procès, obtenant le plus souvent des peines de prison pour les agresseurs.
Une évolution en partie due à la multiplication des cas d’agressions sexuelles en marge de manifestations, qui ont choqué l’opinion publique.
L’une de ces agressions s’était déroulée en juin 2014 place Tahrir, au coeur du Caire, durant un rassemblement célébrant l’élection du président Abdel Fattah al-Sissi.
Une vidéo partagée sur les réseaux sociaux montrait une femme nue portant des traces de sang et des ecchymoses, bousculée par des dizaines d’hommes qui continuent à se masser autour d’elle, tandis que des policiers essaient de la sauver.
Le président Sissi avait rendu visite à la victime, bouquet de fleurs à la main, s’engageant à lutter contre le fléau. Un mois plus tard, sept hommes étaient condamnés à la prison à vie et deux autres ont écopé de 20 ans de prison, pour des agressions sexuelles place Tahrir.
“La visite du président Sissi, c’était un message adressé à l’Etat signifiant qu’on ne peut plus tolérer ça”, estime Mme Hassan.
Et ces verdicts ont un réel impact sur le terrain, confirme Michael Raouf, avocat du centre El-Nadeem, témoin un jour d’une conversation entre plusieurs jeunes commentant la tenue d’une femme.
“L’un d’eux disait ‘regardez-la, comment elle est habillée. Son frère ou son père la laisse sortir comme ça, et si on dit quelque chose, on se retrouve en prison”, raconte M. Raouf.
– “Résistance” –
L’épineuse question du harcèlement a fait irruption sur la scène publique en 2006, quand des groupes d’hommes ont agressé plusieurs femmes au Caire, un jour de fête. La presse a ignoré l’incident, dénoncé par des blogueurs.
Après la révolte de 2011, des groupes de volontaires se sont organisés pour protéger les femmes des agressions collectives lors des manifestations. De plus en plus de victimes prenaient la parole pour partager leur expérience. Des graffitis anti-harcèlement ont fleuri sur les murs du centre-ville.
En février 2013, des femmes ont même manifesté dans la rue, brandissant des couteaux.
Et avec les campagnes de sensibilisation, ceux qui blâment les victimes peuvent changer d’avis et prendre conscience de l’ampleur du phénomène, estime Alia Soliman, porte-parole du groupe HarassMap.
Le mouvement organise des conférences dans les universités, des campagnes à la télévision et à la radio, et même des formations pour les chauffeurs d’Uber.
Mais pour Yosra AbdelAziz, 22 ans, le changement n’est pas assez rapide.
A plusieurs reprises, elle a essayé de porter plainte contre des harceleurs, sans succès. Même à la maison, elle n’y échappait pas, avec son frère aîné.
“Ce qui se passait avec mon frère, je n’en parlais à personne. Maintenant j’en parle même sur Facebook”, précise l’étudiante. Aujourd’hui, elle cherche à déménager.
“Imaginez où on en serait si on ne faisait rien”, résume Elostaz. “Au final, ce qu’on fait là, c’est de la résistance”.
Afp