« Dans l’ombre d’Hitchcock : Alma et Hitch », le cinéaste Laurent Herbiet explore la collaboration totale et très intime entre Alfred Hitchcock et Alma Reville, son épouse aussi décisive pour ses films qu’oubliée par le grand public. Entretien lors de la projection au Fipadoc, à Biarritz.
RFI : Est-ce la faute d’Alfred Hitchcock si son épouse et collaboratrice de premier plan, Alma Reville, est restée dans son ombre ?
Laurent Herbiet : Si elle est restée dans l’ombre, c’est parce que c’était son souhait. Alma était quelqu’un d’extrêmement discret. Elle n’a jamais cherché à être dans la lumière des projecteurs. Elle disait elle-même qu’il suffisait d’avoir un réalisateur à la maison. Par ailleurs, on parle d’une époque où la femme, en tant que créatrice et auteure au cinéma, n’était pas particulièrement reconnue. Aujourd’hui, les choses seraient peut-être différentes et Alma aurait la chance de devenir une grande réalisatrice.
Quel était le rôle d’Alma pour les films et la carrière d’Hitchcock ?
C’est un rôle absolument prépondérant. Il l’a reconnu lui-même. Il a toujours mis en avant que, sans Alma, il n’aurait jamais été Hitchcock. C’était sa première collaboratrice, sa scénariste, sa co-scénariste, sa monteuse. Au début de leurs films, elle était même sa première assistante-réalisatrice. C’était le premier avis qu’il demandait quand il s’agissait de choisir le sujet d’un film ou le montage du film. Quasiment jusqu’au bout, cela a été une collaboration totale et très intime entre les deux.
Quand Hitchcock a rencontré Alma, elle avait une position unique dans le cinéma européen. Elle était scénariste, monteuse, réalisatrice, actrice. Comment est-elle entrée dans l’univers du cinéma ?
Alma a quasiment grandi sur les plateaux, parce que son père travaillait aux studios d’Islington, à côté de Londres. Elle a connu ça très jeune. Pour Alfred, ce fut un processus beaucoup plus long. Alma est entrée dans le métier bien avant Alfred et quand celui a commencé à travailler dans le cinéma, Alma était déjà une technicienne reconnue et célébrée.
Hitchock nommait Alma tendrement « ma petite », parce qu’elle faisait 1,52 m, mais aussi parce qu’elle est née un jour après lui, le 14 août 1899. Quelles étaient les grandes inventions de cette « petite » pour le cinéma d’Alfred Hitchcock ?
C’était une collaboration très intime et il est très difficile à faire la part des choses entre les apports des uns et des autres. Il est certain qu’Alma était une grande technicienne, à la fois en terme de montage et en terme d’écriture. C’est effectivement elle qui a pensé filmer la course-poursuite dans La Main au collet avec Grace Kelly et Cary Grant depuis un hélicoptère. Aujourd’hui, c’est chose commune. À l’époque, c’était assez surprenant. Alma avait un œil particulièrement aiguisé pour le montage et les raccords. Cela a été quelqu’un d’extrêmement important dans la filmographie d’Hitchcock pour la qualité technique de ses films.
Il régnait une osmose totale entre la vie et l’œuvre cinématographique. Est-ce que c’était aussi son choix à elle ?
Je crois que c’était quelque chose qui se faisait très naturellement entre eux. Il n’y avait pas de choix imposé par l’un ou par l’autre. C’est l’histoire d’un grand amour et d’une grande collaboration artistique.
À la fin de votre documentaire, vous évoquez les reproches faits à Hitchcock concernant un certain sadisme et un certain goût pour la manipulation des actrices. Tippi Hedren, le rôle principal des Oiseaux, raconte son isolement sur le plateau et, suite à son refus de suivre le réalisateur, avoir été menacée par celui-ci de « briser (m)a carrière ». Aujourd’hui, parlerait-on d’un cas #MeToo par rapport à Hitchcock ?
Cela rentre très clairement dans ce cadre-là. Il y a eu du harcèlement moral de la part d’Hitchcock à l’égard de Tippi Hedren. C’est un cas avéré. Il y a probablement eu une forme de harcèlement sexuel aussi. Aujourd’hui, cela amènerait à reconsidérer les choses de manière très différente. C’est une évidence.
Qu’est-ce qui vous a frappé le plus en faisant ce film ?
Ce n’est pas nécessairement la dimension #MeToo de l’affaire, parce qu’elle est universellement connue. Non, c’est l’aspect lumineux de cette histoire, à savoir cette osmose artistique et amoureuse qu’il y a eu entre Alma Reville et Hitchcock.
► Dans l’ombre d’Hitchcock : Alma et Hitch, de Laurent Herbiet, présenté au Festival international du documentaire de Biarritz (Fipadoc), du 21 au 26 janvier.
► Entre le 26 janvier et le 1er avril, également disponible sur arte.fr