Tuesday, April 16, 2024
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L’Afrique, si pauvre mais courtisée par les puissances mondiales

Le chercheur Thierry Vircoulon analyse comment le continent redevient une arène de la compétition internationale. Il s’agit d’intérêts diplomatiques et militaires, mais aussi d’un parfait faire-valoir pour des nations qui veulent «jouer dans la cour des grands».

Bien que l’Afrique reste obstinément le continent le plus pauvre de notre planète, elle est le terrain d’une compétition féroce entre puissances grandes et moyennes depuis le début du XXIe siècle. Les manifestations les plus visibles de cette compétition sont la projection de puissances militaires étrangères et l’inflation des sommets où un pays prétend rencontrer le continent africain.

Avant 2000, seuls les gouvernements français et japonais avaient dans leur répertoire diplomatique un sommet dédié à l’Afrique. Le premier sommet France-Afrique a eu lieu en 1973 et le premier sommet Japon-Afrique en 1993. Mais depuis la première édition du Forum sur la coopération sino-africaine en 2000 (Focac), ce genre de grands-messes s’est multiplié: sommets Inde-Afrique et Turquie-Afrique depuis 2008, Russie-Afrique depuis 2019. Ces grands-messes ont connu quelques ratés: l’annulation du sommet Israël-Afrique prévu en 2017, précédé du slogan «Israël revient en Afrique et l’Afrique revient en Israël», et l’absence de la première puissance mondiale dans ce qui ressemble beaucoup à du speed dating diplomatique (chaque chef d’Etat africain essaie d’avoir un tête-à-tête avec le président de la puissance invitante).

Les Etats-Unis étant les seuls courtisans du continent à avoir un président d’origine africaine et à ne pas avoir leur tête-à-tête avec l’Afrique, Barack Obama a organisé en août 2014 le premier et dernier sommet Etats-Unis-Afrique à Washington. Cette initiative n’a pas survécu à son successeur, Donald Trump, qui ne s’intéressait pas à l’Afrique et avait même du mal à mémoriser certains noms de pays.

 

Un parfait faire-valoir

Ces sommets en série visent à séduire des partenaires commerciaux et politiques et à projeter une image de grande puissance puisqu’un pays invite/convoque tout un continent et expose ses largesses (aide au développement et contrats d’affaires), dans une mise en scène protocolaire des rapports de force entre dominant et dominé. Sur la scène internationale, l’Afrique est le parfait faire-valoir des nations qui veulent «jouer dans la cour des grands».

 

A l’instar des sommets mais à l’abri des regards, les implantations militaires se sont répandues sur le continent depuis vingt ans. La présence militaire traditionnelle des anciennes puissances coloniales (France et Grande-Bretagne) a été complétée et concurrencée par de nouveaux venus: les Etats-Unis, le Japon, la Chine, la Turquie et la Russie.

Peu intéressés par une grand-messe diplomatique avec l’Afrique, les Etats-Unis ont en revanche été très précoces pour s’y installer militairement. Faute d’un pays d’accueil africain, le quartier général de l’Africom (le commandement américain pour l’Afrique), créé en 2007, se trouve à Stuttgart, en Allemagne, mais le Pentagone dispose sur le continent du Camp Lemonnier à Djibouti, depuis 2002, d’une base de drones à Agadez au Niger depuis 2016, de 12 autres sites non permanents (cooperative security locations) et de 20 sites sans présence américaine continue (contingency locations).

Bruits de bottes à Djibouti

Depuis 2011, le Japon a développé une petite base logistique à Djibouti pour les missions de sa marine contre la piraterie maritime dans le golfe d’Aden. Le gouvernement chinois a répliqué en 2017 en inaugurant sa première base militaire outre-mer à Djibouti, qui jouxte le nouveau port de Doraleh (inauguré fin mai 2017) et la zone franche de Djibouti-Ville, tous deux construits par la Chine. Cet avant-poste militaire de l’Empire du Milieu a été créé au détriment des Etats-Unis dont les troupes ont dû évacuer leur camp secondaire d’Obock au bénéfice des Chinois. C’est aussi en 2017 que la Turquie a installé à Mogadiscio, en Somalie, une base militaire qui sert de centre d’entraînement pour les troupes somaliennes. Ankara a dépêché sur place 200 officiers et instructeurs turcs pour former les soldats somaliens, en guerre contre les milices shebab.

Soucieuse de reprendre pied en mer Rouge comme à l’époque soviétique, la Russie a annoncé en novembre 2020 la signature d’un accord avec le Soudan pour la création d’un «centre logistique» russe dans la zone de Port-Soudan. Cette infrastructure navale devrait pouvoir accueillir simultanément quatre navires russes et 300 marins. Comme le gouvernement soudanais a suspendu cet accord en avril 2021, la Russie et Djibouti semblent avoir repris contact pour ce projet. Outre une base navale dans cette zone stratégique, le Kremlin en quête d’un pays hôte pour une implantation militaire a approché d’autres gouvernements africains. Enfin, dans le cadre d’une stratégie d’expansion de sa marine dans l’océan Indien, New Delhi multiplie les contacts et coopérations militaires avec des pays d’Afrique orientale et a déjà un discret poste d’écoute à Madagascar.

Toutes ces bases militaires ne sont que la partie émergée d’un système complexe et confus de partenariats de sécurité entre pays africains et non africains, qui prennent d’autres formes, beaucoup plus secrètes: coopérations entre services de renseignement, fournitures d’armement et d’équipements de cyberespionnage, facilités pour des interceptions de communication, etc. La mise à disposition au Maroc et au Rwanda du logiciel israélien Pegasus en est la parfaite illustration.

 

Nouvelle guerre froide

Si ces partenariats ont pour objectif des problèmes sécuritaires tels que la lutte contre le djihadisme, le musellement de l’opposition et la sécurisation d’approvisionnements stratégiques, ils s’inscrivent aussi dans le cadre de rivalités particulières entre certaines nations et servent à construire une clientèle d’Etats. Car la compétition géostratégique en Afrique subsaharienne ne se réduit pas au clivage entre anciennes et nouvelles puissances. De fait, grâce à leurs livraisons d’armes, leurs offres de formation et d’exercices conjoints à des conditions particulièrement avantageuses, les puissances émergentes ont rejoint les grandes puissances dans leur jeu d’influence en Afrique et sont devenues des concurrents.

 

A ce titre, la pénétration militaire étrangère en Afrique subsaharienne reflète les nouveaux rapports de force géostratégiques dans le monde. Mais cette compétition oppose surtout des nations qui ont des contentieux et jouent une partie d’échecs mondiale (pour les grandes puissances) et régionale (pour les puissances moyennes): USA-Russie, USA-Chine, Chine-Japon, France-Russie, Inde-Chine, Israël-Iran, Arabie saoudite-Qatar, Maroc-Algérie, etc.

Ainsi la rivalité sino-américaine s’exporte aussi en Afrique, comme ce fut le cas de la rivalité USA-URSS au temps de la guerre froide. Pour l’administration Trump, l’Afrique n’a existé qu’à travers le prisme des tensions avec Pékin. En 2020, le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, a effectué une tournée du continent pour mettre en garde les Etats africains contre l’influence de la Chine. Depuis, les avertissements de l’administration américaine contre la «diplomatie de la dette» des autorités chinoises se sont multipliés et Washington incite discrètement certains gouvernements africains à renégocier leurs contrats avec la Chine (comme récemment la République démocratique du Congo).

Les efforts récents de la Russie pour reprendre pied militairement sur le continent (Mozambique, Soudan, Centrafrique, Madagascar, etc.) s’inscrivent dans une stratégie globale de contre-attaque consécutive à la crise ukrainienne et aux sanctions internationales. En déployant des mercenaires en soutien à l’Etat fantôme centrafricain, le Kremlin a pénétré dans l’ancien pré carré français et conteste la domination militaire de Paris sur son terrain d’expertise africain. L’expansionnisme militaire russe veut d’ailleurs profiter de l’annonce de la fin de la mission de l’armée française contre les djihadistes au Sahel (Barkhane): des offres de services ont déjà été faites aux gouvernements du Sahel et un axe Moscou-Alger pourrait se former en vue d’une intervention au Sahel.

 

Des stratégies opportunistes

Mais l’Afrique subsaharienne est aussi le théâtre de rivalités plus modestes, comme entre le Maroc et l’Algérie autour de la question du Sahara occidental. C’est sur cette question que le Maroc avait été exclu de l’Organisation de l’unité africaine en 1984, l’Algérie ayant réussi à monter un front anti-marocain dans cette instance panafricaine. Or, engagés au début du siècle, les efforts diplomatico-économiques de Rabat ont permis au Maroc de regagner de l’influence en Afrique subsaharienne et de renverser la situation. Au grand dam de l’Algérie, le royaume a été réadmis au sein de l’Union africaine en 2017. A l’inverse, l’Algérie a perdu le très stratégique poste de commissaire pour la paix et la sécurité qu’elle trustait depuis la création de l’Union africaine, lequel revient maintenant au Nigeria.

Comme à l’époque de la guerre froide, l’Afrique subsaharienne redevient une arène de la compétition internationale et ce d’autant plus que les pays africains représentent un tiers des membres de l’ONU et sont de plus en plus fragiles. Cette compétition s’intensifie à la fois en raison des évolutions de l’offre (de plus en plus de compétiteurs) mais aussi de la demande. De nombreux régimes africains ont en effet besoin de soutien économique et de protection, car leurs vulnérabilités structurelles sont accentuées par les évolutions extérieures (récession mondiale due à la pandémie de Covid-19, baisse des investissements étrangers, progression du sécessionnisme et du djihadisme jusque dans des pays à forte majorité chrétienne comme le Mozambique, etc.)

Les pays du Sahel sont les exemples types de cette désastreuse combinaison de fragilités et de chocs exogènes. En quête de sponsors financiers et de security providers, ils diversifient leurs partenaires et transforment le clientélisme entre Etats en une nouvelle ressource pour ces temps difficiles. Déjà pratiquée lors de la guerre froide (on se souvient des revirements d’alliances du Centrafricain Bokassa, du Soudanais Nimeiry et des guerres par procuration d’Angola et de la Corne), cette stratégie opportuniste est rendue possible par un environnement international de plus en plus instable et un environnement africain de plus en plus belliqueux.

Le temps

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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