Supermarchés pillés, coups de feu et prisons attaquées: le président nigérian doit s’exprimer jeudi soir à la télévision sur les violences qui se sont multipliées à Lagos après la sanglante répression des manifestations pacifiques il y a deux jours.
Mardi soir, l’armée et la police ont tiré à balles réelles sur des manifestants pacifiques, faisant au moins 12 morts et des centaines de blessés à Lagos, selon Amnesty International.
48 heures après cette répression sanglante qui a ému la planète entière, le président du Nigeria Muhammadu Buhari doit s’adresser jeudi à 19H00 (18H00 GMT) à la télévision. Son silence a été largement critiqué sur la toile et par plusieurs personnalités. Les appels à démissionner se sont multipliés.
Ces tueries et le couvre-feu total imposés mardi à Lagos ont déclenché un épisode de fortes violences à Lagos et dans plusieurs autres villes du pays le plus peuplé d’Afrique.
Des banques et de nombreux supermarchés ont été pillés mercredi et jeudi, en particulier pour récupérer de la nourriture.
A Lekki, le quartier de Lagos où l’armée a tiré mardi soir sur un millier de manifestants, les soldats avaient repris le contrôle des rues et maintenaient l’ordre en fin d’après-midi. Le grand centre commercial a été totalement détruit. Quelques jeunes tentaient encore d’éteindre les dernières flammes avec des seaux d’eau.
“Maintenant ils savent de quoi nous sommes capables”, dit l’un de ces jeunes toujours en colère. “On ne croira plus à leur connerie désormais. Nous avons juste faim, nous sommes fatigués”, lance-t-il, la voix éraillée.
Un entrepôt où étaient stockés des milliers de sacs de vivres destinés à être distribués aux ménages pauvres affectés par la pandémie du coronavirus a aussi été pillé, selon le gouvernement de l’Etat de Lagos. Des vidéos montrent des centaines d’hommes et de femmes prendre d’assaut le bâtiment et repartir avec d’énormes sacs de provision sur le dos.
Le Nigeria, première puissance économique du continent africain grâce à son pétrole, est aussi le pays qui compte le plus grand nombre de personnes vivant sous le seuil de l’extrême pauvreté au monde.
La contestation de la jeunesse nigériane a commencé il y a deux semaines, les jeunes défilant pacifiquement contre les violences policières puis, peu à peu, contre le pouvoir central accusé de mauvaise gouvernance. Au moins 56 personnes sont décédées dans ces manifestations, selon Amnesty International.
Mais depuis leur répression et la mise en place d’un couvre-feu à Lagos, les protestations pacifiques ont laissé la place à des émeutes.
– Prisons attaquées –
Jeudi midi, des volutes de fumées noires s’élevaient au dessus de la prison centrale de Lagos, à Ikoyi, un quartier aisé de la capitale, où plusieurs coups de feu ont été entendus. Les autorités assurent que l’incendie a été maitrisé et que la situation est sous contrôle.
Selon des vidéos et un témoignage recueilli par l’AFP, l’autre grande prison de la ville, celle de Kirikiri a également été attaquée. “Les policiers ont tiré des coups de feu et des gaz lacrymogènes” empêchant les détenus de s’évader, selon une jeune femme habitant en face du centre de détention.
En outre, une vingtaine de bâtiments publics, plusieurs postes de police, les sièges d’une station de télévision et de l’autorité portuaire, ou encore un terminal de bus, ont été incendiés ces derniers jours.
Hormis ces incidents, la plupart des habitants de la ville respectaient le couvre-feu, les rues étaient désertées et les boutiques fermées.
Ailleurs dans le pays, le gouverneur de l’Etat du Delta, riche en pétrole, a lui aussi ordonné un couvre-feu après plusieurs incidents, notamment l’attaque et l’incendie d’un poste de police ainsi que d’une prison.
Le président Buhari a tenu dans l’après-midi un conseil de défense. Le président va dans les prochaines heures proposer “des solutions” pour mettre fin à la crise, a assuré son conseiller spéciale sécurité à la sortie de cette entrevue.
Mises en cause par des témoins et des ONG, la police et l’armée nient toute responsabilité.
– Indignation internationale –
Mais des vidéos de la fusillade montrant des militaires tirer à balles réelles au dessus d’une foule qui agitait des drapeaux et chantait l’hymne national au péage de Lekki, avaient été largement relayées sur les réseaux sociaux, suscitation l’indignation.
Washington a condamné jeudi “le recours excessif à la force” par les militaires.
Avant les Etats-Unis, l’Union africaine, l’Union Européenne et l’ONU avaient déjà condamné ces violences, et demandé à ce que les responsables de ces tueries soient poursuivis en justice.
La Cour pénale internationale (CPI) a affirmé “suivre de près les incidents en marge des manifestations au Nigeria”, dans un communiqué jeudi.
“Nous avons reçu des informations concernant des crimes présumés et nous regardons de près la situation, dans la cas ou la violence s’intensifierait”, a déclaré la procureure générale Fatou Bensouda.
Afp