Les relations au travail sont parfois très conviviales, parfois plus tendues… Que faire quand la relation tourne au conflit et que le bien-être en pâtit ? Nous avons demandé à deux experts.
Christophe Deval et Sylvie Bernard-Curie sont tous deux directeur et directrice en ressources humaines en entreprise, également psychologues et thérapeutes, coauteurs du livre Simplifiez vos relations avec les autres, chez InterEditions.
Les relations avec les collègues de travail peuvent aller du merveilleux au franchement désagréable. Si certains et certaines deviennent amis et passent – en plus du temps de travail – des week-ends et des vacances ensemble, d’autres multiplient les tensions.
Souvent un défaut d’organisation
Il y a ce que l’on peut appeler les petites fâcheries du quotidien : à cause de la lumière ou de la climatisation dans l’espace commun, on se parle de façon désagréable. Et puis il y a les gens qui ne s’aiment pas du tout, de façon quasi animale, mais c’est beaucoup plus rare. « Souvent, c’est un défaut dans l’organisation du travail qui peut provoquer des tensions. Face à la charge de travail, par exemple, certains osent dire non, d’autres pas. Cela peut générer des frustrations. », explique Sylvie Bernard-Curie. C’est la fameuse pile de dossiers : quand l’un prend toujours la plus petite partie de la pile, et l’autre la plus importante, il peut y avoir des tensions.
Quelle place pour le manager ?
« Il se peut aussi que le management fasse défaut et laisse les gens se débrouiller seuls, ajoute Christophe Deval. Arrive un moment où il faut sonner “la fin de la récré”. Mais attention, ce même management ne peut pas tout : le manager de proximité est souvent lui-même débordé, il n’est pas forcément mauvais parce qu’il ne résout pas le problème. Il est juste confronté à la même situation que les autres : trop de travail et pas assez de ressources. »
Que faire en cas de crise ?
Mieux vaut agir avant d’en arriver à un état d’exaspération telle vis-à-vis du collègue qu’il devient difficile de discuter. « Je conseille dans un premier temps d’essayer de se débrouiller par soi-même, conseille Christophe Deval. Car, lorsque l’on fait remonter un problème à sa hiérarchie, on devient souvent soi-même une source de problème. En revanche, quand le conflit est comme enkysté et que la communication est difficile, il faut faire appel à un tiers. »
Et Sylvie Bernard-Curie ajoute : « Je le constate souvent par mon expérience en entreprise et dans mon cabinet : le problème est que les gens en parlent à tout le monde sauf à la personne concernée. Chez eux, à leur conjoint, aux autres collègues à la machine à café… Bref à toutes les personnes qui n’y peuvent rien. »
Et si l’on essayait de changer de point de vue ?
Pour résoudre un conflit, certaines étapes sont importantes, comme le décrit Christophe Deval :
- D’abord identifier précisément ce que fait la personne qui pose un problème. « Un jugement général type “je ne le supporte pas” » ne mène à rien. Définir précisément ce qui heurte ses propres valeurs.
- Ensuite, essayer de comprendre l’autre pour désamorcer une partie de sa colère. « En quoi ce que fait l’autre est parfaitement compréhensible de son point de vue, même si je ne le partage pas. »
- Dernière étape : bien prendre conscience que l’autre ne va pas changer de comportement sous prétexte qu’on l’exige. « C’est valable au travail comme dans le couple : la personne horripilante ne va changer (parfois) que si, soi-même, on fait évoluer son comportement. » Qu’est-ce que moi je fais pour créer une opportunité pour l’autre de changer ? « Cela implique qu’il ne faut pas être arrivé dans la phase où l’on est totalement exaspéré, ajoute Sylvie Bernard-Curie. Puisque dans ce cas on ne peut ni être lucide ni efficace. »
- Et, dans le meilleur des cas, proposer à la personne de boire un café et discuter. La conversation alors se fera sur un plan non-émotionnel, en restant au maximum focalisé sur le travail commun et les pratiques à faire évoluer, pas sur la personne.
En résumé : quand il y a des tensions avec une personne avec laquelle on travaille, la meilleure solution n’est pas forcément d’en discuter en disant « je vois bien qu’il y a un problème ». Il est souvent préférable de rester sur le plan du travail, en se demandant : “est-ce que l’on est toujours d’accord sur les objectifs communs et les moyens que l’on prend pour y parvenir ?” « Il faut toujours faire descendre la charge émotionnelle et ramener les éventuels échanges sur un plan concret. », résument encore nos experts.
Ne pas encourager la situation
Pour l’avenir et pour ne pas reproduire sempiternellement les mêmes situations, il convient de faire un point et – exercice délicat – reconnaître sa part de responsabilité dans un conflit.
« C’est tout l’objet de notre livre, explique Sylvie Bernard-Curie. Souvent, la personne frustrée reproduit et encourage inconsciemment cette situation qui l’exaspère. Les mécanismes relationnels sont les mêmes, quel que soit le contexte. » Comment faire ? Si par exemple je récupère toute la pile de dossiers et que je bougonne, j’essaye la prochaine fois de n’en prendre que la moitié. Si je suis exaspéré(e) parce que l’on vient tout le temps me demander conseil, mais qu’à chaque fois je réponds et je donne le conseil, j’encourage forcément ce comportement que je suis censé(e) ne pas supporter.
« Dans le couple, ce sont les mêmes mécanismes, ajoute Christophe Deval : être furieux du comportement de l’autre sans que l’on n’ait rien dit ni rien fait qui l’encourage à changer. Et, bien sûr, lui reprocher. »
Et dans le cas où l’on est la personne “pas supportée”
On a parlé du cas où l’on ne supporte pas son collègue, mais l’autre côté du miroir mérite d’être abordé. Le cas de Patrice, 43 ans : « Je travaille en open-space et un collègue a une attitude ouvertement désagréable à mon égard. Je ne vois que la jalousie pour expliquer ce comportement, mais je ne peux quand même pas aller le voir et lui dire “tu es jaloux mais je n’y peux rien !”
Que faire lorsque l’on est confronté à l’hostilité d’un collègue ? A cette question, Christophe Deval répond par une autre : « La question alors devient : qui a le problème ? » Et deux solutions sont alors possibles, comme le développe Sylvie Bernard-Curie : « Face à une personne agressive, il y a deux possibilités : soit on choisit de vivre avec en partant du principe que « ce problème ne vient pas de moi, il ne m’appartient pas donc je n’ai pas à le résoudre », soit on suscite une discussion : “est-ce que tu acceptes que l’on prenne un café pour améliorer les choses ?” Les deux attitudes sont possibles. L’important est de faire un choix clair.