Thursday, December 12, 2024
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Voyage à Medina Sabakh et Ndoffane : Ngoyane, aux chœurs du Saloum

Musique qui a longtemps bercé ses confluents, le Ngoyane est une réalité culturelle au Saloum. Dans cette contrée du centre du Sénégal, le Ngoyane se raconte fièrement. Initié par un noble du nom de Ngoumbo Touré, elle a été incarnée par des griots comme Seynabou Dieng, Seynabou Niang, Birane Lobé Ndiaye, Saly Mbaye, Saloum Dieng.

La surprise est belle. Comme une invite au bonheur, la voix limpide et mielleuse convie en chanson, rythmée de battements de calebasses. Diakhou Ndiaye s’avance, les mains en l’air, le timbre polychrome. Dans la foule qui a pris d’assaut le domicile familial de la fille de Saly Mbaye, cantatrice de Ngoyane célébrée, on ne se pose pas de questions. L’exploit relève du naturel. D’ailleurs, pour Diakhou, l’exercice paraît bien simple. Elle enchaîne les chansons, en esquissant quelques pas de danse. Le spectacle est fantastique, féérique. Pourtant, Diakhou qui a de qui tenir, n’est pas à 100% de ses capacités. «Je suis malade depuis la semaine dernière. D’ailleurs, hier, j’ai failli mourir. Je me suis réveillée dans la nuit pour prendre des médicaments, tellement j’avais mal», lance-t-elle, radieuse dans sa longue robe noire et blanche. Elle embraie : «Ma mère est à La Mecque, mais ma tante peut vous parler de Ngoyane.» Super !

«Nouvelle-Orléans» du Sénégal

Tout comme Ngoyane, rythme aux nombreuses influences, Médina Sabakh est une localité cosmopolite du sud-ouest du Sénégal, sise à environ 85 km de Kaolack. Centre de transit important, la ville est située à la frontière avec la Gambie, sur la route nationale 4, sur l’un des deux axes principaux qui relient Dakar à la Casamance. En bordure de l’unique artère qui traverse le village, à l’ombre des arbres, quelques chevaux prennent un semblant de repos, en attendant la prochaine corvée. Les véhicules hippomobiles assurent le transport des hommes et des marchandises. Sur la place publique, qui sert aussi de marché, quelques commerçants se laissent aller à la somnolence, parfois allongés devant leurs marchandises. Ils proposent des produits sénégalais comme gambiens. Le village n’est plus cette «Nouvelle-Orléans» sénégalaise, haut lieu de la musique. Médina Sabakh a perdu de son art, mais tente vaille que vaille de sauver les ors d’un legs qui a longtemps fait sa fierté.
A l’ombre d’un arbre, juste après la place publique, un groupe de jeunes devisent autour des trois normaux de Thé. «La maison de Saly Mbaye est derrière vous. Je vais vous y conduire», propose l’un d’entre eux. La maison ne paie pas de mine. Elle est comme toutes ces bâtisses en zinc qui peuplent le village. En l’absence de la maîtresse des lieux, c’est Lobé Ndiaye qui assure l’intérim. Démarche nonchalante, elle sort de sa chambre et se pose sur une chaise, au milieu de la cour. Le débit lent, elle affirme : «Chez nous, le Ngoyane est une affaire de famille. Ma mère, Seynabou Niang, était une cantatrice et mon père, Birane Lobé Ndiaye, jouait du Xalam. J’accompagnais ma mère dans les cérémonies et c’est comme cela que j’ai chopé le virus de la chanson. A Médina Sabakh, quand on parle de Ngoyane, c’est grâce à notre famille.» «Cette musique, nous lui avons donné ses lettres de noblesses à Gueyene. Une famille du nom de Touré est venue s’installer là-bas. Ils étaient les rois de Médina Sabakh. Le roi Ngoumbo Touré organisait des séances de chant nocturnes appelées Ngonar qui donneront plus tard Ngonale. C’est de là qu’est parti le Ngoyane.» Musique au rythme assez singulier, avec tambours, calebasses et xalam, sur quoi on ne chantait, à l’époque, que la généalogie guerrière des nobles rois. Pour lui donner une certaine originalité, ces spécialistes avaient même trouvé une belle astuce : elles mettaient les calebasses dans une bassine d’eau pour offrir plus de basse à la musique.

«L’histoire de l’homme qui a versé un camion de sucre dans le puits»

Qui n’a pas entendu son nom. Saloum Dieng, onze lettres qui ont mis le feu aux stades et autres salles de spectacles au Sénégal et dans le monde. Considéré comme le Pape du Ngoyane, l’homme a le passé glorieux et le présent somptueux. Retrouvé dans sa villa à Ndoffane, où il coule une retraite paisible, mais un peu chahutée par la lèpre, il confie, en expert : «La musique Ngoyane vient d’un village éponyme créé par Ndary Yacine. On appelait aussi le village Keur Ndary Yacine. A côté, il y avait Médina Sabakh. Quand la famille Touré est venue s’installer là-bas, elle a pris les rênes du village. Ses fils en sont devenus les chefs. Les familles Gueye, Cissé et Seck sont ensuite venues s’installer», explique-t-il. Avant de poursuivre : «L’initiateur du Ngoyane n’était pas un artiste. Ngoumbo Touré a trouvé la région un peu trop morne à son goût et c’est lui qui introduira les animations musicales nocturnes qu’on appelait Ngonar. Il faut dire que cette période coïncidait avec le boom arachidier. Après le boulot, les gens restaient cloîtrés chez eux, sans aucune autre activité. Ngoumbo Touré s’est dit que cela ne pouvait pas continuer ainsi. Ce qui l’a poussé à aller à la recherche de musiciens, histoire de donner une âme aux lieux.» A l’époque, la majorité des griots vivaient à Médina Sabakh et c’est là-bas que Ngoumbo fera sa pêche. Une belle moisson qui a changé la face de Keur Ndary Yacine et donné à cette musique purement griotte, l’autre nom du village : Ngoyane. «Les habitants de Keur Ndary et de toute la contrée étaient tellement épris de cette musique, qu’un jour, un homme est venu dire au roi, Ngoumbo Touré qu’il voulait faire une chose jamais réalisée dans le village. Le roi lui a dit que c’était impossible, parce que des gens avaient même offert la moitié de leur fortune, lors des Ngonal. Mais, le gars a insisté et le roi lui a donné la permission. Il est parti à Farefegni, en Gambie, y a acheté une voiture chargée de sucre qu’il est venu déverser dans le puits de Médina Sabakh, en guise de cadeau aux griots.» Une histoire qui a été relatée un peu partout sur la planète et attribuée à mille et une personnes. Sans jamais toucher à la pure réalité. «J’ai entendu beaucoup de versions de cette affaire-là, mais c’est ca la vérité.» Même pas une légende.

Le président Senghor et le Ngoyane.

Né au Saloum, le Ngoyane a vite été classé patrimoine national. Et, en homme de culture, sensible aux variétés et à la tradition, le Président Senghor en avait fait un de ses hymnes préférés. Lobé Ndiaye : «J’ai chanté pour tous les Présidents du Sénégal. De Senghor à Macky Sall. Mais, c’est Senghor qui était le plus épris du Ngoyane. Quand il était en tournée dans la région de Kaolack, ma mère l’accompagnait partout pour chanter ses louanges. Il aimait être chanté en dînant. Senghor, c’était un roi.» Du président poète, Saloum Dieng retient un ami, grand amoureux du Ngoyane et de sa voix. «Senghor ?! Oh», s’émeut-il, d’emblée, la tête farcie de souvenirs. «Quel monsieur ! Il a été le premier à me donner un million de FCfa. C’était beaucoup à l’époque. Ce jour-là, nous étions à Dakar, à la maison du Parti socialiste. Ensuite, je l’ai suivi jusqu’à Djilor. Senghor, c’était mon ami. Un ami de la culture.» Mais, le fils de Diogoye n’était pas le seul chef d’Etat ami de Saloum Dieng, dont la voix a fait vibrer beaucoup de palais. «Certes, toutes mes visites à l’étranger se passaient super bien, mais celle de Mauritanie, vers les années 1967, était encore beaucoup plus aboutie. A l’époque, le président Ould Daddah m’avait offert, avec toute ma délégation, des cadeaux qui ne sont réservés qu’aux grandes personnalités hôtes de ce pays. C’était inoubliable.» Saloum a aussi bénéficié des largesses d’ex-chefs d’Etat, comme le Gambien, Daouda Kayraba Diawara, le Malien, Modibo Keïta, le Guinéen, Sékou Touré. Mais le cadeau qui a marqué sa riche carrière vient du fils de Baye Niass, Serigne Mamoune Niass. «J’ai amassé beaucoup d’argent tout au long de ma carrière. On m’a offert de l’or et tout, mais le cadeau qui m’a le plus touché, c’est le voyage à La Mecque que Serigne Mamoune Niass m’a offert.» Un pèlerinage aux Lieux saints de l’Islam obtenu grâce au Ngoyane, qui a ouvert à Saloum Dieng et Cie des portes qu’ils n’espéraient jamais franchir. Mais grâce à la beauté de leur voix et la force pénétrante du Ngoyane, ils ont déjeuné avec Présidents et rois, dîné avec capitaines d’industrie et magnats des finances. Une belle opportunité, source de grandes rencontres, que la nouvelle génération risque de ne jamais saisir. «Il y a une grande différence entre ce qui se faisait hier et ce qui se fait aujourd’hui. Modernisé, le Ngoyane a été complètement dénaturée», regrette Lobé Ndiaye. «Maintenant, on entend du tout, se désole Saloum Dieng. Les jeunes ne chantent plus et n’entretiennent, non plus, les relations que nous avions avec nos ‘’guers’’. Si j’ai presque fait le tour du monde avec cette musique, c’est parce qu’elle parlait aux gens, elle renvoyait à quelque chose. On chantait la bravoure, le respect de l’humain, de l’autre, le culte du travail, la dignité, la grandeur, y compris dans les épreuves. Mais aujourd’hui, plus rien de tout cela.» Et presque plus rien du Ngoyane, dont l’original faisait lever les foules et exploser les fermetures des pochettes et autres calepins.

LOBS

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